Mémoire de Paris
A mes petites filles Ivana et Micaela,
pour qu´elle le lisse quand elles
arrivent à grandes personnes.
Avec mon amour.
Ana María Rodríguez Francia
2007.
pour qu´elle le lisse quand elles
arrivent à grandes personnes.
Avec mon amour.
Ana María Rodríguez Francia
2007.
1
Mon tombeau est ouvert
à Père Lachaise
Et le brouillard,
toujours au fond,
au fond fermé
à Père Lachaise
2
Regarder quelquefois
mon visage dans le miroir
et le vide,
seulemente le vide
3
Lorsqu´ à sept ans
la fille marchait
sur les pierres du pavé
n´imaginait pas que ces pierres
veillaient pour elle
sur un pays lointain
C´était que le pays
habitait dans son âme
Lorsqu´à sept ans la fille marchait.
4
A la poupée de mon enfance
Petronila est morte
et s´est pourrie
sur un toit tout pareil
á celui qu´aujourd´hui
je regarde.
Et le dôme du Panthéon
veille un retour
que personne n´attend.
5
L´automne.
C´est l´automne au jardín
qui ressemble à mon âme,
et le brouillard au fond
des peupliers,
et les balcons que je garde
dans la mémoire,
ces balcons que j´ai vus
dans les cours d´un village ignoré.
La stèlle de mon manteau
histoire de certain rêve détrôné
monte, encore une fois,
par l´escalier de l´eau qui glisse toujours
et je m´égare dans le brouillard
et je m´en vais vers ce lieu
d´où je ne suis pas venue
6
La neige, les pigeons
partagent la solitude blanche
du Jardín de Luxembourg
Personne n´y est
et les fenêtres sombres
parlent d´un feu bleuâtre,
rouge, jaune, qui se confond
avec l´étoile cachée
dans les nuages
C´est moi,
la seule,
qui manque
7
Ô Paris
Ô Paris
Mon reve de jeunesse,
mon espoir
mon désir
mon hiatus
Je te promets
qu´un jour retournerai
sans mes os,
sans ma peau,
sans mes yeux, et resterai
A Boulevard Pasteur,
un banc en bois
attend,
si éloquent
et tu.
8
Devant le tombeau
d´une belle fille
A Père Lachaise
le tombeau de la belle.
Silencieuse musique celle des arbres, comme un berceau pleurant
parmi ces gloires qui furent
il y a longtemps.
A Père Lachaise
le tombeau de la belle
Il est des nuits
où je revois chaque pierre
que j´ai vu s´agiter,
comme si de petits morts
voulaient pousser son cloître
et retourner
A Père Lachaise
le tombeau de la belle
9
1992
Il mourait si loin
ce jour- là gris
où j´étais dans la place
Saint Sulpice
Les eaux de la fontaine
s´en allaient
comme sa vie, brève et douleureuse
J´écoutait qu´on parlait
sur l´amour, le service
et la mort faisait
un clin d´oeil,
ironique et trompeuse
Saint Sulpice?
Saint Sulpice?
Suplice
10
Sur la terrasse du café
la musique parisienne
donne en cadeau la fleur
de la petite
Et les gens passent
Un silence mystérieux
traverse l´air
qui se plaint
tandis qu´ approche la nuit
Et loge
près de moi
11
En Amérique latine, un jour de novembre, 2000.
Et le Penseur médite
près de la Tour
qui rêve
Des peintres, des poètes
m´attendaient
sous les plafonds si gris
dans le Musée d´Orsay.
Là, les voix
chantaient tous bas,
tout tristement, semblables
à celles des pendus de Villon
et murmuraient
à mon oreille
quelque chose d´étrangère,
à la fois personnelle,
que je ne comprenait pas.
12
C´est un char de Victoire
pour mes yeux fatigués,
fatigués mais avides
sur les toits du Grand Palais
Je me souviens
et je pense aux absences
qui font la mort
depuis ces terres lointaines.
13
Le regard,
au - dessus du toit
du Petit Palais.
La Tour, là - bas,
signale un point dans l´infini
comme si c´était la porte
d´un royaume égaré
parmi les siècles.
Là
c´est la parole de Hölderlin
Elle habite
Das Wort
14
Nous, les Argentins,
nous avons oublié Julio Cortázar
non loin de la Coupole
mais si loin du foyer.
Nous l´avons oublié
(nous oublions toujours),
de la même manière
que l´on laisse une photo jaune
quand, au départ,
nous fermons la valise.
Et il reste ici,
tellement silencieux
tellement étranger
pour nous
aujourd´hui
A Montparnasse, juillet, 1996
15
Ô que je me suis reconnue étrangère
parmi le tourbillon de la Gare Saint Lazare
...
Et toujours le brouillard
en passant à travers les arbres transparents
du Jardin des Tuileries
Comme ma vie;
telle que la vie de tous,
un carrousel qui s´éternise ici
tout calme,
tout plaisant
sous le poids des petites presences
– invisibles mais lourdes-,
qui l´évoquent.
16
Et nous,
tous deux,
tous deux finalement réunis,
passons par Opéra Garnier
chercher le Camarade.
17
"porque ese muerto está allí,
aún de pie"
A.M.R.F. La deslumbrante opacidad
aún de pie"
A.M.R.F. La deslumbrante opacidad
Un jour, j´ai vu la Mort
dans un passage
où les fleurs et un petit cimetière chantaient,
chantaient
Maintenant,
au Passage Vérot- Dodat,
je regarde une figure qui revient
de l´inconnu
et m´appelle.
J ´attends
18
La trouvaille
C´est derrière ce mystère,
ce visage caché
que nous poursuivons
depuis longtemps
derrière de fiers et rares nuages
derrière le chant du soir
à l´abandon des canaux sombres
là
cette trouvaille.
19
Assise ici, sur un banc entouré par le bois de Bruxelles, le souvenir du mal qui agit immédiat, ponctuel, pèse sur moi Il y eut quelqu´un dont la parole perÇa la liberté, et c´était comme une goutte argentée au milieu de la mer. Mais peut- être, cela a fondé le territoire du rêve et l`utopie Aujourd´hui dans ce vert qui m´embrasse, la terre oscille
Bruxelles, mai, 1992
20
Qu´elle est froide la bouche du métro quand l´automne, incertain, envahit ces jours d´été qui s´écoulent parmi les boulevards. Les passants inconnus se pressent quelquefois; d´autres, ils s´arrêtent le regard égaré
Et c´est une simphonie cachée de murmures qui viennent de Montparnasse, de Père Lachaise
Peut - être, ce sont
les mêmes de tous côtés du monde.
Paris, 1996
21
Au "Lapin agile"
Dans l´ombre rougeâtre
du "Lapin agile"
flottent,
eux,
ces poètes perdus,
presqu´oubliés.
Ils chantent au son
de la voix lasse et
lointaine,
à travers le charme
de la dame automnale
"et c´était bien
et c´était bien"
et notre jeunesse,
si pâle
Paris, Monmartre, 1996
22
A côté de la Seine
Quand le vent passe
a côté de la muraille du
port de Solferino
il faut attendre l´arrivée
des fantômes du
Musée d´Orsay
Cést la Maga
qui revient ici
Où il ný a que la solitude
dans le sourire des pierres
Quand le soir tombe,
notre soir
Paris, juillet, 1996
23
J´ai regardé
comme dans un miroir,
l´adieu que le Pont Neuf
dessinait dans tes yeux
Le brouillard t´éloignait,
m´éloignait,
et c´était la distance
toujours
qu´une brissure avait tracée
je ne sais pas quand
je ne sais pas où
mais sans remède
24
Les quais trompeurs
d´un Paris qui s´efface
le Paris des absences
qui traversent les pierres
et les eaux,
les eaux qui coulent mystérieuses
Je regarde leurs voix
sur les eaux de la Seine
et j´écoute leur visage disparu.
Sans retour disparu
25
Rentrer au labyrinthe
de la mémoire
aux nuits fugaces
où la lumière doublait
les mystères de la Seine
Là, on ne peut pas se passer
de mille présences
anciennes présences
qui habitent encore
au parcours de la ville
Un jour,
moi même, je reviendrait
pour habiter ici
passionée, invisible,
mais toute entière
26
Paris
Il m´a été refusé
d´habiter
"le seul endroit du monde pour un poète"
Alors,
maintenant je survis
mais pas du tout,
trop lointaine
27
Ô les portes si lourdes
des anciennes maisons
Rue Visconti 1938,
quand j´arrivais au monde.
Et malgré la distance,
malgré le temps
et les eaux qui s´agitent obscurs,
ces portes encore m´ attendent
pour me faire part des secrets
gardés obstinément
28
Et quand je suis allée au coin
de la rue
j´ai regardé l´image,
dix huit ans qui
n´arriveraient jamais
pour rester
Mais j´étais là
29
Me promener sur ces trottoirs
couverts de dalles carrées, rectangulaires, mais toujours largues,
tellement larges
tellement largues, comme si
c´était possible, de cette manière,
saisir les âmes et les regards
qui s´étirent jusqu´à l´infini
et mon image, revêtue de voiles grises et bleuâtres
se promène
30
Ce sont des voiles,
tels que ceux d ´une fiancée
condamnée vers l´autel;
ils glissent sa revêrie sous l´eau
qui n´ose pas mouiller cette splendeur
Là haut,
solitaire
le ciel humide de Paris
attend pour moi
31
Les présences qui remplissent
les statues
les eaux
les arbres
les galéries désertes
au jardín du Palais Royal
m´appellent encore.
Ils crient mon prénom
et ceux - là
que je ne connais pas
et, néanmoins,
me dévoilent
32
Ce sont elles,
les formes de Paris,
qui me dévoilent.
EPILOGUE
Et tandis que le vent obscur
me pousse vers
un hiver étrange
elles, racine du cercle,
arrivent à Paris
qui ouvre ses bras
comme un berceau
ANA MARÍA RODRÍGUEZ FRANCIA poète, écrivain, professeur d'université argentine, né le 4 Janvier 1939 à Pergamino, Buenos Aires, Argentine. A publié les ouvrages suivants: Indagaciones acerca del personaje (Poesía). Santa Fe, Ed. Colmegna, 1970; Cantos de la Hoguera y el fuego, (Poesía), Santa Fe, Ed. Castellví, 1971; Las palabras del Tiempo (Poesía), Buenos Aires, Cuadernos de la Brújula, 1971; Vigilia de la intimidad (Poesía), San Nicolás, Ed. Del Árbol, 1984; Sonetos del peregrino (Poesía), San Nicolás, Ed del Árbol, 1985; El Popol Vuh en la perspectiva de una aproximación hermenéutica, en colaboración con Pablo Scervino, Buenos Aires, Centro de Estudios Latinoamericanos, 1991; La búsqueda del ser por el lenguaje en la poesía de María Rosa Lojo, California, Alba de América, USA, 1993.