Poémes
SUR LA ROCHE D'EXIL
sœur dans l'éclatant midi tu m'offris tes seins pour m'enseigner la chasteté et si voracement je savourais leur pointe
plus que la sainteté (lors attaché à tes mollets non tes jupes) pour tous ceux qui meurent à la tombée des heures disparus comme les feuilles ou carrément se fichant sur un pal
enfin les yeux devenus privés de sens à faire l'amour dans le plein jour toute joie tombant toute rage
COMMUNION SOLENNELLE
de loin je vis deux femmes assises au vert je ne sais quoi faisant l'une près l'autre leurs corsages blancs mais robes et cheveux différents de l'ocre au brun pieds cachés dans l'herbe entre deux chênes aux feuilles basses sur les eaux s'inclinant : peut-être elles cousaient pour s'oublier unies
à leurs gestes et battements secrets mes sœurs je ne les éveillai pas mais soudain l'une tourne la tête et je vois qu'elles avaient des yeux d'éphémères.
AVIS DE CHÂTEAUX
une panne de nuages colore la soirée comme table d'auberge le vin mon âme en mon sang pour le plaisir d'une berline arrêtée dans un chemin creux tapissée de brocatelle bleue au lieu dit le Gros Orme nous y confortant de pommes ravis de ma caresse à ton teint de froment, Nadège, blanc jardin où dénouer ta ceinture une faveur! tous feux éteints sinon nos yeux tes cheveux de violante, sans doute a henni le cheval, non?
LA MAIN D'EMMA
dans la consommation des siècles et des gestes à pas de forlane s'avancera l'oubli de mourir avec ta main (rosie, aimée, baisée) les yeux fixes à l'écoute de ma débâcle à peine serai^je froid plus je t'aimai plus en moi s'ouvrait l'abîme
abîme de mes âges et de mes vœux intacte la jeunesse comme une dague au cœur toi qui m'ap pris Emma à méditer sur la théière au lieu des crânes ô feu terrible blanc comme un linge comme un mort ou comme un drap ou comme ta peur finie à mon chevet adieu les javas les tangos des feues enfances
PESER LES FEMMES
fardeau chéri quand la barque s'enlise sur la rive malencontreusement je te porte qui ne peut être que la fin l'autre rive où parée te déposer car tu me fus trop mêlée je veux en tes robes et voiles t'aimer qui cachent ton acre et ton embonpoint moins toucher ta jambe que tes bas je sens la vase qui m'empêtre je sens décroître ma force et mon souffle moi d'usure agenouillé et d'aimer sans savoir ce qu'est aimer au-delà de la peau qui crie de la bouche et d'en bas jouit plus elle te possède plus étant seule — ton fameux rire de s'élever ignorant tout autant étonné entrecoupé fidèle mais gai exubérant aussi clair pourtant s'apaisant après l'incident
PAROLES DE LA DESCENTE
sur terre la luxure n'en finissait pas déplorait
Dante à
Virgile ou à
Stace à la tête plutôt qu'au pied des choses aux anges de tuer les renards, arrivés dans le neuvième trou des
Enfers dans le feu des coïncidences avec une gaupe ajustant son monocle ou son parapluie la rivière nous séparait d'elles les élues
à jamais si près et j'ai dépouillé jeté tous mes livres à la nuit quand j'appelais
Denise tout
désir brandi au pas de duvet sur le trottoir en hâte nous nous dénudions du travail gémissant
si vous saviez et le disciple de serrer le bras du maître comme dédaigneux sous la pluie ils allaient
L'HOMME D'OMBRE
des chiens du soir aux absences du madn
à jamais passagers déjà mariage dans les feuilles mortes d'une robe
elle est le jour où me noyer
fatiguées de la lumière
mes passions, mes distractions grand comme un ange qui se nomme légion le temps passe et nous brûle en cri
A UNE LECTRICE D’ARBRES
Chère amie me dites-vous peu longévif
que le séquoia atteint jusqu’à mille
ans pour m’accabler ou parce qu’il se plaît
au bord des eaux ? Résister au froid le pin
qui préfère la tourbe — moi me fige
l’argile finale ayant trop vu trôner
le thuya au centre des hospices où
jouent les vieillards aux fantômes
et l’on dit menacé l’orme? Mais le port
du tremble, le couvert dense du tilleul
où chantaient les pipeaux pastoraux,
l’orange des sorbiers? O blanche aubé-
pines et magnolias roses acacias!
En ville souffre l’épicéa dont
vous auriez pitié: je vous prie
ne me parlez plus de l’amer cy—
DANS LES MATINÉES
Semblables étaient les vaches au temps
de ronsard et pareilles la brume et
semblables entre les draps à nu mises
les chairs pour le plaisir des bouches
et même les feuilles qui tombent comme
les habits d’époque et semblable aussi
(s’ouvre la parenthèse pour une grosse
perdrix rouge un fabuleux reptile ici
qui passent dans vos souvenirs telle
la mèche rouge d’une caillette un soir
sous son chapeau à plumes) le passage
des êtres verveux et pareilles pluie
semblables à tous les siècles d’Asie
neige et nuit des poètes eux-mêmes
d’oubli
Jacques Dufour dit JUDE STÉFAN, né à Pont-Audemer le 1er juillet 1930. Poète, nouvelliste, essayiste, épistolier, moraliste, il a publié de nombreux livres. Jude Stéfan a fait des études de droit, de philosophie et de lettres. Il a été professeur au lycée Augustin Fresnel de Bernay où il a enseigné le français, le latin et le grec. Il vit à Orbec. Jude Stéfan est un pseudonyme intentionnellement choisi. Jude: Jude l'obscur de Thomas Hardy; Stéphen, le héros de Joyce; «steorfan», terme à propos duquel Jude Stéfan écrit: « en vieil anglais steorfan veut dire mourir/ et si j'en retranche l'or/ reste ma vie terne». Jude Stéfan a reçu le prix Max-Jacob en 1985 et le Grand prix de Poésie de la Ville de Paris en 2000. Poésie: Cyprès 1967; Libères 1970; Idylles suivi de Cippes 1973; Poésie 1978; Aux chiens du soir 1979; Laures 1984; Litanies du scribe 1984; Alme Diane 1986; À la vieille Parque précédé de Libères 1989; Stances: ou 52 contre-haï-ku 1991; Elégiades suivi de Deux méditations 1993; Prosopopées 1995; Povrésies ou 65 poèmes autant d’années 1997; Épodes ou poèmes de la désuétude 1999; Génitifs 2001; La Muse Province 2002; Caprices 2004; Désespérance, déposition 2006; Que ne suis-je Catulle 2010; Disparates 2012.
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