Quelques poèmes
L'ÉTERNITE NE PENCHE QUE DU CÔTE DE L'AMOUR
Je ne m'aime pas même si je suis mon tout premier prochain.
Cette image de l'homme sautillant sur la
Lune n'est pas plus extraordinaire que la pierre immobile.
Tel homme est malade.
Sa maladie est sociale.
Sa maladie s'appelle la haine.
Il vit. mais il se soigne à la haine d'autrui.
Ce comique imite quelqu'un qui n'existe pas.
C'est la barque qui montre l'ondulation de la mer.
La paix ne s'exporte pas, la guerre, si.
Il est des courtoisies qui surviennent par défaut de noblesse.
Elle m'apporte un verre de soif.
Et elle le boit avec moi.
Mes mains accomplissent, ô miracle, la pierre dans ses seins !
Des dessins rupestres m'attendent chez une jeune fille.
Je dois les recopier sur ma vie.
Qu'elle le sache ou non.
Les pas, étincelles du voyage.
Le silence est un effet secondaire de l'infini.
C'est drôle : la goutte de pluie tombée sur l'arbre s'accroche encore à l'une de ses branches avant de tomber au sol.
Tel poète se retire dans le monde.
Ce que j'aime chez cet artiste flamand, c'est qu'il est un peintre de l'inaudible.
La pierre a la tête dans l'immobilité et les pieds dans le silence.
Par l'immobilité, la pierre fait front à l'absolu.
De la pierre monte l'immobilité comme le rêve premier.
Chez la pierre, l'immobilité est labeur.
LA FLÛTE DES ORIGINES OU LA DANSE TACITURNE
Cette image chère aux souris : il s'agit au moyen de l'amour de
Dieu de remonter le ciel parallèlement à la descente du
Coran.
Écoutez cette belle phrase d'un mystique : le croyant doit être une preuve de
Dieu.
La poésie, c'est aussi le langage précis de l'égarement.
Lorsque j'écoute la musique qui me fascine, je secoue la tête comme si je racontais toutes les peines de ma vie à mes anges.
La fleur rauque de l'amour.
Toutes les amours sont en danger de vérité.
La femme précipitamment belle.
Ce qui arrive à cette femme, c'est tout simplement une aggravation du sourire.
Il faut de temps en temps ordonner à sa liberté la dérive, pour une question d'hygiène religieuse.
Si vous voulez savoir comment les
Arabes aiment, eh bien regardez-les écouter
Oum
Koultoum.
QUI TIRE SUR LES BRETELLES DE MA RESPIRATION?
Un homme esi devenu fou car il n'a pu s'habituer à la mer de sa respiration.
Les bruits bizarres qui se produisent au milieu de la nuit dans ma chambre sont l'effet de l'impatience des mots en repos.
Du pain froid que l'on mange, ma mère dit qu'on le libère.
À tout instant, je suis enchanté de faire mon inconnaissance.
En entendant cet homme intelligent me développer ses pensées, j'ai la certitude soudaine que ses mains réfléchissent mieux que son cerveau.
Notre main déborde d'absolu, parce qu'elle est précisément vide.
Chaque soir, je dois sortir pour promener la bête furieuse de mon envie de mourir.
UNE FEMME A AIMER COMME ON AIMERAIT REVIVRE APRES LA MORT
Je ne suis que le brouillon de moi-même.
Le propre est chez
Dieu.
L'âme est un chaos de lumière.
Dieu a dû se révéler aux premiers hommes par le rêve.
Je suis dans le monde et je suis en moi en même temps : est-il géométrie plus belle ?
Chaque mot est une stupéfaction de la vérité.
Sur un coin tranquille du futur, nous mourons tous.
Modestement.
Mourir, avoir un petit sommeil d'avance sur les autres.
Il y a des liens mystérieux entre le mot et le sens.
Lorsque le mot est trop fort, il n'y a presque pas de sens.
Tenez par exemple la mort.
J'ai toujours vu l'orgasme comme une levée fantastique d'oiseaux vers un horizon fermé.
La femme est une trouvaille de l'amour.
Par moments, je me surprends à penser que le mot a son esprit incorporé.
Et si les étoiles n'étaient que des baisers perdus, parmi tous les baisers que se donnent les amoureux !?
Dans les ruelles, le parfum des femmes est superbe car il ressemble à un cri.
C'est sûrement mal réveillé, comme toujours, que je mourrai.
Très souvent, la vérité ne triomphe que lorsqu'elle n'est pas annoncée.
Le regard parfait, c'est celui que les choses portent sur nous.
Je ne serai pas célèbre, je ne serai pas docteur, aucune femme ne se suicidera d'amour pour moi, aucune rue ne portera mon nom, je n'écrirai pas de livres, on n'écrira rien
sur moi, on ne se souviendra pas de moi, ma vie sera dérisoire, mais, au moins, j'aurai mon nom sur ma tombe.
Mon émeutière, ma surveillante évasive de nuptialité, quand mettrons-nous le rire dans notre désir ?
Une jeune fille marche dans sa danse endormie et déjà dans une averse de caresse, et définitivement dans une entaille de chant.
Je voudrais plaire à son parfum.
Je voudrais rassurer son bonheur.
Je voudrais sa fleur rapide d'argile.
ABDELMAJID BENJELLOUN, (Fès, 17 novembre 1944) est un écrivain, poète et historien marocain d'expression française, spécialiste de l’histoire du nord du Maroc. Il est membre-fondateur de la Maison de la poésie du Maroc. Docteur d'État en droit public de l'Université de Casablanca, Maroc, depuis 1983. Il a été enseignant à la Faculté de Droit de Rabat de 1976 jusqu'en août 2005, ayant pris alors une retraite anticipée. Il a été élu, le 9 juillet 2009, Président du Centre marocain du PEN INTERNATIONAL, en remplacement d'Abdelkébir Khatibi. Il a été réélu, le 24 mai 2011, au même poste audit Centre. Il a remporté, en 2010, à Beyrouth, le Prix littéraire international 'Naji Naaman'.Le 17 décembre 2013, il démissionne de son poste de Président du Centre marocain du PEN INTERNATIONAL.