Zìssis Aïnalis


Trois poèmes 


ULYSSE


La prison que j'avais dans ma tête
je m'en suis délivré à bas prix
pour un paquet de cigarettes acheté
place Omònia dans un kiosque à femmes nues
maintenant je marche à peu près comme un homme libre
agitant il est vrai un peu plus que nécessaire
mon parapluie
voilà soudain que souffle un sirocco
tout mon corps se soulève
et je marche sur les toits de la ville
pourris par les pluies et l'azote
et en bas sur le fond pillé
de l'Achéron immense urne funéraire
remuant la lie des beuveries ancestrales
coulées de sperme d'huile meurtres mégots chairs décomposées
ossements des morts
empereurs antiques héros glorieux
et ma mère je m'y attendais pas
putain mais qu'est-ce qu'elle vient faire là
son idiote de belle fille dans un bordel de Benghazi
s'est mise à parler
un rat est venu lui bouffer la langue
comprenant que je n'étais pas encore des leurs
travailleur saisonnier petits boulots
éboueur
à durée déterminée
j'ai eu des soupçons parfois
et des centaines de petites aiguilles me déchiraient le cœur
pourtant je prenais grand soin d'éviter que se déchire
mon costume en chaux
et qu'en dessous apparaisse l'icône toute nue
immaculée
écrasante
l'image
la vraie



PÉNÉLOPE


Le visage humain après ce qu'on en a fait est plein de fissures
chaque matin au réveil une fois lavé avant de s'essuyer
mouillé encore
dans le miroir on les compte
rappel des vaines promesses de bonheur
un jour j'ai effleuré du doigt
les lèvres de la plus grande
elles s'ouvraient vagin ardent
avec horreur j'ai regardé le gouffre ouvert là-dessous
ténèbres à perte de vue
j'ai mis les doigts et
soudain je m'enfonçais
chose inespérée
je m'enfonçais
dans une humide inexistence
et sans aucune lumière nulle part où s'accrocher
vertige
alors j'ai souhaité le fond comme une délivrance pleine de sang
pas eu le temps
dans le dernier tour l'énorme filet de l'araignée
me rappelant
mon destin


TÉLÉMAQUE


Mes mains coupées à la dernière guerre furent le butin de braconniers
qui mirent dans des chaines rouillées ce qui restait
c'est pourquoi tu me vois là tenir entre mes dents l'encrier
peindre avec la langue
la page constellée de gouttes
de mon sang
ce qui reste des lèvres chairs déchirées
gencives émail dents cassées
larmes bave
et je ne parle pas de moi
mais ma mère cette salope me dégoûte
qui ouvre la fenêtre à des tentations par dizaines
et les fait bander
la chienne
puis largués la douche froide
jouissant de son royal pouvoir sur tant de mâles
même si la fouettait affreusement la fournaise de la chair
chaque fois qu'elle s'éveillait drapée dans la vigueur de l'aube
vaincue par les fantômes de la nuit
et pourtant
je ne parle pas de moi
c'est pourquoi ces jours-ci je pense tellement à Néoptolème
et à tant d'autres


génération brûlée
ma génération



Traduction de Michel Volkovitch



ZÌSSIS AÏNALIS, né en 1982 à Athènes, poète, traducteur, essayiste. Poésie: Électrographie ((2006); Silence de Saba.


Zìssis Aïnalis Zìssis Aïnalis Reviewed by La Rédaction on samedi, avril 25, 2020 Rating: 5
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