Joaquín O. Giannuzzi


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MÉDITATION DERRIÈRE LES CARREAUX

Quand tu bouges la queue
publiquement j'applaudis, mais en privé
j'entends une nostalgie
impromptue. Toi,
dans la rue unanime, moi
derrière la vitre de la fenêtre
et de mes lunettes. Chaque vie à sa place
et tout le monde dans le monde.
Tu es
- libre félin, jeune vent -
en pleine opportunité charnelle de la lumière
parmi les gens qui sifflent tu égayes
avec ton avenir en herbe. Moi,
dans mon fuligineux recoin,
scrutant mes pouces avec une certaine
intelligence pratique du passé
et mon présent rhumatisme spéculatif.


MEDITACIÓN DETRÁS DE LOS CRISTALES

Cuando mueves la cola
aplaudo públicamente, pero en privado
escucho una nostalgia
que nada puede decidir. Tú
en la unánime calle, yo
detrás del vidrio de la ventana
y de mis anteojos. Cada vida en su lugar
y todo el mundo en el mundo.
Tú andas
felino libre viento joven
en plena oportunidad carnal de la luz
entre la gente que silba y entusiasmas
con tanto porvenir. Yo
en mi rincón tabacoso,
repasando mis pulgares, con cierta
inteligencia práctica respecto al pasado
y mi presente reumatismo especulativo.



PLUIE DANS LE JARDIN

J'ai observé le comportement des papillons
surpris par la pluie dans le jardin.
Ils ont cherché en vain un abri sous les feuilles
et dans la profondeur des fleurs.
Mais un d'entre eux s'est haussé
vers de sombres nuages,
il a choisi la mort dans la foudre,
perdue la mémoire de l'espèce.
Je fumais dans la terrasse, vautré, de dos,
je survivais sereinement en m'entraînant
à mon métier de fainéant, mes vacances métaphysiques,
tout en m'interrogeant
sur le type de mort, le modèle de stèle funéraire
qui pourraient convenir à mon exclusive histoire personnelle,
sur cette sorte de peine qui m'était réservée.


LLUVIA EN EL JARDÍN

He observado el comportamiento de las mariposas
sorprendidas por la lluvia en el jardín.
En vano buscaron refugio bajo las hojas
y en la profundidad de las flores.
Pero una de ellas se elevó
hacia las nubes sombrías
y eligió la muerte en el rayo
perdida la memoria de la especie.
Yo fumaba en la galería, tendido de espaldas;
yo sobrevivía tranquilamente, ensayando
mi oficio de holgazán, mis vacaciones metafísicas,
aunque también pensando
qué clase de muerte, qué modelo de sepulcro
podría convenir a mi exclusiva historia personal,
la especie de pena que me correspondía.



DIAGNOSTIC

On lui diagnostiqua une schizophrénie organiquement terrestre
symptômes subjectifs et objectifs
un syndrome dissociatif, un détachement de la réalité,
cavité occipitale peuplée de fantaisies
hallucinations hautement impolitiques
émotions sans fondement, phobies de chien bleu
comportement simiesque, grimaces, langage primitif.
Car il a passé son temps à regarder
des objets sans importance,
à déplacer les nombreuses et rationnelles conjectures de l'intellect
à se reposer, simplement, d'autant de vie.


DIAGNÓSTICO

Le diagnosticaron una esquizofrenia orgánicamente terrestre
síntomas subjetivos y objetivos
un síndrome disociador porciones sueltas de la realidad
cavidad mental poblada de fantasías
alucinaciones fuertemente impolíticas
emociones sin fundamento fobias de perro azul
comportamiento simiesco muecas lenguaje primitivo.
Todo por haber estado mirando
demasiado tiempo objetos sin importancia,
por haber desplazado las varias y ordenadas conjeturas del intelecto
por descansar nomás de tanta vida.


QUELQUES NOTES SUR L'ÉPOQUE


Fréquence de coups de feu
aux alentours de notre corps.
Arrivent les nuits, telles des menaces secrètes.
Des explosions, des hurlements d'ambulance et de pneus,
des pas qui se précipitent.
Des spasmes d'une gestation avancée.
La vieille époque perd son rythme cardiaque, râle
dans l'étang stérile de sa propre histoire.
Derrière les portes
fermées avec deux verrous et morale mordante
tout le monde retient son souffle.
Des timbales, la musique au paroxysme de sa puissance
La danse des gars
de l'autre côté du mur.
Vu d'ici il n'y a pas grand chose à expliquer :
j'accumule les grimaces, examine les idéologies
mais dans l'ensemble j'ignore
s'ils sont libres ou seulement heureux,
quelle sorte d'héroïsme exigent-ils, quel type de rêves ils conçoivent ?
Parfois un accident survient dans le tourne-disque
alors les gars
frappent les murs des poings et des pieds
pour échapper à ces temps difficiles et obscurs.
D'une foi enragée, dépourvue d'avenir,
comme la mouche qui lutte contre la confiture.
La rue, ce matin,
ne proposait que des alternatives mortelles.
Des immeubles descendaient,
parmi les bouffées de fumée et de haine,
les tourments des hommes, des femmes et des objets manufacturés.
Mourir sans espérance, le seul crédo.
Et le monde s'arrêtait dans les poubelles.
Ce n'était guère un moment surréaliste, je vous assure.
Et je jure que les voitures révélaient
leur vraie nature criminelle.


APUNTES DE ÉPOCA

Frecuencia de tiroteos
en las inmediaciones de nuestro cuerpo.
Las noches llegan como amenazas secretas.
Explosiones, aullidos de ambulancias y neumáticos,
pasos que se precipitan.
Espasmos de una gestación avanzada.
La vieja época
pierde el ritmo cardíaco, boquea
en el estanque seco de su propia historia.
Detrás de las puertas
cerradas a doble llave, pasador y moral sin dientes
todo el mundo conteniendo el aliento.
Timbales y música a volumen crítico.
El baile de los muchachos
del otro lado de la pared.
Desde aquí no hay mucho que explicar:
acumulo muecas, examino ideologías
pero en conjunto ignoro
si son libres o felices,
qué heroísmo reclaman, qué sueños conciben.
A veces hay un accidente en el tocadiscos
y entonces los muchachos
con puños y pies golpean las paredes
para escapar de estos tiempos difíciles y oscuros.
Con la rabiosa fe sin porvenir
de la mosca luchando en la mermelada.
La calle, esta mañana,
sólo ofrecía opciones mortales.
De los edificios descendían
entre bocanadas de humo y odio
sufrimientos de hombres, de mujeres y de objetos manufacturados.
Morir sin esperanza era el único credo
y el mundo terminaba en los tachos de basura.
No era un momento surrealista, pueden creerme.
Y juro que los automóviles revelaban
su verdadera naturaleza criminal.


Traduit de l'espagnol (Argentine) par Julia Azaretto


JOAQUÍN O. GIANNUZZI, né à Buenos Aires en 1924, il est mort en 2004. Poète et journaliste dans les principaux quotidiens de la capitale argentine (Crítica, Clarín, La Nación), fondateur de Crónica, et collaborateur assidu de la revue Sur, dirigée par Victoria Ocampo, Joaquín Giannuzzi est l'une des références majeures pour les jeunes poètes contemporains. L'œuvre de Giannuzzi a reçu plusieurs prix en Argentine et à l'étranger : le Prix Vicente Barbieri de la Société Argentine d'Écrivains (1957), le premier prix du Fonds National des Arts (1963, 1977), le Prix Municipal (1980), le Prix Esteban Echeverría, et le Prix National de Littérature (1992), entre autres distinctions. Il a déjà été traduit en italien et en anglais, mais aucune traduction n'a été proposée en français jusqu'à présent.  
Joaquín O. Giannuzzi Joaquín O. Giannuzzi Reviewed by La Rédaction on dimanche, mai 17, 2020 Rating: 5

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