Constantin Kavafis


25 Poèmes


1. DANS L'ESCALIER...

Comme je descendais l'escalier mal famé
Tu entrais par la porte et, pour une seconde
J'ai vu ton visage inconnu et tu as vu le mien.
Là-dessus je me suis caché, fuyant ton regard, et toi
Tu es passé rapidement, en dissimulant ton visage,
Puis tu t'es faufilé dans la maison mal famée
Où tu n'as pas dû trouver plus de plaisir que moi même.

Et pourtant l'amour que tu voulais,
J'aurais pu te le donner;
L'amour que je voulais
Tes yeux las qui savaient l'on dit
Tu aurais pu me le donner.

Nos corps se sont sentis,
Ils se cherchaient.
Notre sang et notre peau se sont compris.

Mais nous nous sommes cachés l'un de l'autre,
Troublés.



2. ROIS ALEXANDRINS…


Les gens d'Alexandrie se sont rassemblés pour voir,
Les enfants de Cléopâtre,
Césarion et ses petits frères,
Alexandre et Ptolémée,
Que pour la première fois on amenait au Gymnase
Afin des les proclamer rois
En présence du superbe alignement de soldats.

Alexandre a été nommé roi d'Arménie, de Médie et des Parthes,
Et Ptolémée roi de Cilicie, de Syrie et de Phénicie.
Césarion se tenait un peu en avant,
Vêtu de soie rose.
Sur sa poitrine, un bouquet d'hyacinthes ;
Sa ceinture, une double rangée de saphirs et d'améthystes ;
Ses souliers, lacés de rubans blancs,
Brodés de perles rosées.
Il a été revêtu d'une dignité supérieure à celle des deux petits,
Car on l'a proclamé Roi des Rois.

Certes, les gens d'Alexandrie sentaient bien que tout cela n'était que des mots,
Et des effets de théâtre.

Mais la journée était chaude et belle ;
Le ciel d'un bleu clair ;
Le Gymnase d'Alexandrie une réussite triomphale de l'art.
Extrême était le luxe des courtisans,
Et Césarion plein de grâce et de beauté.
Fils de Cléopâtre, sang des Lagides.

Donc les gens d'Alexandrie accouraient à la fête,
S'enthousiasmaient,
Et poussaient des acclamations en grec,
En langue égyptienne,
Et quelquefois en hébreu,
Charmés par ce beau spectacle,
Quoiqu'ils sussent fort bien ce que valait tout cela,
Et quels titres creux étaient ces royautés.

3. DANS UNE VILLE D'OROSROENE…


D'une rixe de cabaret, on a ramené hier
L'ami Rémon blessé, à minuit.
Par la fenêtre que nous laissâmes grande ouverte
La Lune sur le lit éclairait son beau corps.
Nous sommes ici une race mixte :
Syriens, Grecs, Arméniens, Perses,
Tel est Rémon.
Pourtant hier,
Tandis que sur son visage fait pour l'amour,
Luisait la lune,
Mon esprit allait vers le Charmide de Platon.


4. LE TOMBEAU D'IASIS…


Je suis Iasis, en cette grande ville,
L'éphèbe renommé pour sa beauté.
Des sages profonds m'admirèrent,
Ainsi que le peuple, superficiel et simple.
Et je me réjouissait mêmement des deux sortes d'hommages.

Mais comme les gens me tenaient si fort pour Narcisse et Hermés,
Les abus m'usèrent,
M'occirent.
Passant, si tu es Alexandrin, point tu ne jugeras.
Tu sais la fougue de notre vie,
Son ardeur,
Son excessive volupté.


5. J'AI TANT CONTEMPLÉ…

J'ai tant contemplé la beauté
Que ma vue en est comblée.

Lignes du corps.
Lèvres rouges.
Membres voluptueux.
Chevelures comme détachées de statues grecques,
Toujours belles encore que désordonnées
Et qui tombent un peu sur un front blanc.
Visages de l'Amour comme les désire mon poème…
Durant les nuits de ma jeunesse,
Durant mes nuits,
Secrètement rencontrées…


6. LA DEVANTURE DU MARCHAND DE TABAC…

Près de la devanture éclairée du marchand de tabac
Ils se tenaient parmi beaucoup d'autres.
Par hasard, leurs regards se rencontrèrent
Et exprimèrent timidement, craintivement
Le désir illicite de leur chair.
Puis quelques pas anxieux sur le trottoir
Jusqu'à ce qu'un sourire,
Un signe léger soit échangé.

Et ce fut désormais la voiture fermée…
Le rapprochement sensuel des corps,
Les mains jointes,
Les lèvres jointes…


7. POUR QU'ELLE DEMEURE...


Il est peut être une heure du matin
Ou une heure et demie.
Dans un coin d'auberge
Derrière la cloison de planches
Nous deux seulement
Dans la salle tout à fait vide
Une lampe à pétrole éclaire à peine.
Près de la porte, le garçon las de veiller, dormait.

Personne pour nous voir.
Mais si fort s'alluma notre désir
Que nous devînmes
Incapables de toute prudence.

Les vêtements s'entrouvrirent.
Il n'y en avait guère
Car le divin mois de Juillet était brûlant.
Plaisir de la chair parmi les vêtements entrouverts.
Vite la nudité de la chair
Dont la vision a traversé vingt-six années.
Et elle est revenue aujourd'hui
Afin de demeurer dans ce poème.


8. UN ORFÈVRE…


Sur ce cratère exquis de pur argent
Que j'ai sculpté pour la demeure d'Héraclite
Où règne une élégance irréprochable,
Voyez ces frêles fleurs, ces herbes, ces ruisseaux
Et tout au centre un bel éphèbe nu
Au visage amoureux,
Laissant sa jambe
Ployée en l'eau jusqu'au genoux.
O ma mémoire,
Sois moi, je te supplie, un guide sûr
Afin que je dépeigne ici,
Les traits de ce jeune homme qui me fut cher !
La tâche est malaisée
Puisque voici quinze ans passés depuis le jour
Qu'il est tombé dans la bataille à Magnésie.


9. AVANT QUE LE TEMPS NE LES CHANGE…


Ils furent affligés de leur séparation.
Eux ne l'on pas voulu ; c'était les circonstances.
Certains besoins vitaux obligèrent l'un d'eux
A s'en aller au loin…
New York ou Canada.

Leur amour n'était, certes, ce qu'il avait été ;
Car son attrait s'était lentement amoindri.
Mais pour se séparer, ils ne l'ont pas voulu.
C'était les circonstances

Peut-être le destin, agissant en artiste,
Les sépara, avant que leur amour ne meure,
Que le temps ne les change.

Ainsi, l'un sera, pour l'autre, comme il avait été :
Toujours le beau garçon de vingt-quatre ans.


10. SELON LES PRÉCEPTES DES ANCIENS MAGES GRECS DE SYRIE…


Quelle essence d'herbe magique
Pourrait-on découvrir, dit un esthète,
Quelle essence préparée
Selon les préceptes des anciens mages Grecs de Syrie,
Qui pour un jour,
Puisque semble-t-il, d'avantage n'est pas en leur pouvoir,
Ou même pour une petite heure,
Me rendrait mes vingt trois ans ?
Et mon ami,
Et ses vingt-deux ans,
Sa beauté,
Son amour?

Quelle essence pourrait-on découvrir,
Préparée selon les préceptes des anciens mages grecs de Syrie
Qui, conjointement à cette restitution,
Me rendrait aussi notre petite chambre?


11. LE MIROIR DANS LE VESTIBULE…


Un grand miroir très ancien,
Acheté voici au moins quatre vingt ans,
Ornait le vestibule de cette riche maison.

Un très beau jeune homme,
Employé chez un tailleur,
Le dimanche athlète amateur,
Se trouvait là avec un paquet.
Il le remit à quelqu'un de la maison qui l'emporta à l'intérieur
Pour chercher le reçu.
Le garçon tailleur resta seul et attendit.
Il s'approcha du miroir,
S'y regarda,
Et ajusta sa cravate.
Cinq minutes plus tard on lui apporta le reçu.
Il le prit et s'en alla.

Mais le vieux miroir qui avait vu et vu
Durant sa longue existence,
Des milliers d'objets et de visages,
Mais le vieux miroir, maintenant, se réjouissait
Et s'enorgueillissait d'avoir reflété,
Durant quelques minutes,
La beauté parfaite.


12. LES THERMOPYLES...


Honneur à tous ceux qui au cours de leur vie
Ont décidé de défendre les Thermopyles.
Ils ne se sont jamais dérobés à leur devoir.
Ils sont équitables et justes dans tous leurs actes
Avec au surplus, de la sympathie et de la commisération.
Généreux quand ils sont riches et même, lorsqu'ils sont pauvres,
Généreux avec parcimonie.
Ils sont secourables autant qu'ils le peuvent.
Toujours ils disent la vérité,
Pourtant ils sont sans haine pour ceux qui mentent.

Et il faut faire plus d'honneur encore
A ceux qui prévoient,
Et beaucoup prévoient,
Qu'en fin de compte,
Ephialte surgira
Et qu'il passeront,
Les Perses,
Finalement.

13. DEUX JEUNES HOMMES DE VINGT-TROIS À VINGT-QUATRE ANS...


Depuis dix heures et demie il était au café,
Et s'attendait toujours à le voir apparaître.
Minuit vint,
Et il l'attendait encore.
Une heure et demie ;
Le café s'était presque entièrement vidé.
Il s'était lassé de lire des journaux,
Machinalement.
De ses trois pauvres schellings,
Un seul lui restait ;
En l'attendant, il avait dépensé le reste en cafés et en cognacs.
Il avait fumé toutes ses cigarettes.

Une si longue attente l'épuisait.
Car comme il était seul, depuis des heures entières,
Des pensées inopportunes sur sa vie dévoyée
Commencèrent, aussi, à s'emparer de lui.

Mais lorsqu'il vit entrer son ami
Aussitôt la fatigue, l'ennui, les pensées inopportunes s'évanouirent.
Son ami apporta une nouvelle inattendue ;
Il avait gagné soixante livres au tripot.

Leur beau visage,
Leur jeunesse merveilleuse,
L'amour affectueux qui les unissait,
Furent rafraîchis, ranimés, fortifiés
Par les soixante livres du tripot.

Et, pleins de joie et de vigueur,
Radieux de beauté,
Ils se rendirent,
Non pas dans leur honnêtes familles,
Où, d'ailleurs, on ne voulait même plus d'eux,
Mais dans une maison de débauche
Qui leur était familière, d'allure spéciale ;
Et, là, ils demandèrent une chambre
Et des boissons coûteuses,
Et de nouveau ils se mirent à boire.

Et, lorsque les boissons coûteuses furent épuisées,
Lorsqu'il fut près de quatre heures,
Ils se livrèrent,
Heureux,
A l'amour.


14. IONIQUE


Parce que nous avons brisé leur statues,
Parce que nous les avons chassés de leurs temples,
Les Dieux ne sont pas morts pour autant.
O terre d'Ionie, c'est toi qu'ils aiment,
C'est toi que leurs âmes évoquent encore.
Lorsque le jour paraît par un de tes matins d'été,
Une palpitation de leur vie traverse l'air
Et parfois, la silhouette immatérielle d'un éphèbe,
Incertaine,
D'un pas rapide,
Passe sur tes collines.


15. JE SUIS PARTI…


Je ne me suis pas laissé enchaîner.
Je me suis enfin détaché et je suis parti.
Vers les plaisirs mi-réels
Mi-imaginaires
De mon esprit.
Je suis allé dans la nuit éclairée.
Et j'ai bu des vins rudes,
Ceux que boivent les hommes de plaisir.


16. SI LOIN …


J'aurais voulu dire cette réminiscence,
Mais elle s'est presque effacée…
Il n'en reste presque rien
C'est si loin :
Elle vient des années de mon adolescence….

Un épiderme comme du jasmin.
C'était en Août
C'était au mois d'Août,
Un soir….
Je me souviens a peine des yeux ;
Ils étaient bleus, je crois,
Ah ! Oui ! Bleus,
D'un bleu de saphir.


17. TOMBEAU D'EURION…


Dans ce monument d'un art consommé
Taillé tout entier dans la pierre de Syène
Et que recouvrent tant de violettes, tant de lis,
Le bel Eurion est enseveli.

Enfant d'alexandrie, il avait vingt-cinq ans.
Il était par son père, d'ancienne race macédonienne,
Et descendait par sa mère d'une famille d'alabarques.
Il fur élève d'Aristoclite pour la philosophie,
Et de Paros, en rhétorique.
A Thèbes il étudia les textes sacrés.
Du nome d'Arsinoé il écrivit l'histoire,
Cela du moins restera.

Seulement nous avons perdu le plus précieux,
Son visage,
Qui était comme une vision apollinienne.


18. LE MATIN SUR LA MER…


Que je m'arrête ici.
Et que je regarde un peu la nature.
Le bleu éclatant du matin sur la mer
Et du ciel sans nuages, ces rivages dorés,
Toute cette beauté brillamment éclairée.

Que je m'arrête ici.
Que je m'imagine voir ces choses
En vérité, je les ai vues un instant en arrivant
Et que je ne voie plus mes chimères,
Mes souvenirs
Et les visions de la volupté.


19. SUR UNE STATUE D'ENDYMION…


Sur un char blanc
Que traînent quatre mules blanches,
Harnachées d'argent,
J'arrive à Latmos, venant de Milet.
Pour honorer Endymion par des libations et des sacrifices,
J'ai vogué d'Alexandrie sur une trirème de pourpre.
Voici la statue.
Emerveillé, je contemple le bel Endymion.
Mes esclaves vident des paniers de jasmin.
Et le bruit des louanges réveille les voluptés d'autrefois.


20. UN DE LEURS DIEUX…


Lorsque l'un d'eux traversait l'Agora de Séleucie,
A l'heure ou la nuit tombe,
Sous l'apparence d'un éphèbe,
Svelte et beau,
Aux cheveux noirs parfumés d'aromates
Et dont les yeux disent la joie d'être immortel.
Ceux qui passaient le contemplaient,
Se demandaient l'un l'autre s'ils le connaissaient.

" Est-ce un Hellène de Syrie ?
Un étranger ? "

Mais quelques uns,
L'ayant observé de plus près,
Avaient compris… Et s'écartaient.
Et lui, disparaissant sous les Portiques,
Parmi les ombres et les lumières du soir,
Il s'en allait vers ces faubourgs où, la nuit, règnent
La débauche et l'orgie
Et toute espèce de luxures et d'ivresses.
El l'on se demandait lequel d'entre Eux
Ce pouvait être.
Et pour quel plaisir louche
Il descendait sur ces routes de Séleucie
Du haut des saintes,
Des éternelles Demeures.


21. JOURS DE 1903…


Je ne les ai pas retrouvés
Ces biens si vite perdus….
Les yeux pleins de poésie,
Le pâle visage…
Dans la rue qui s'assombrit.

Je ne les ai pas retrouvés
Ces biens conquis grâce au seul hasard,
Que j'ai si facilement laissé perdre
Et que j'ai désirés ensuite avec angoisse.
Les yeux pleins de poésie,
Le pâle visage
Et ces lèvres….

Je ne les ai plus retrouvés.


22. DEVANT LA MAISON….


Hier,
Déambulant dans un quartier éloigné,
Je passai devant la maison
Où je suis souvent entré quand j'étais jeune.
Là, l'amour s'est emparé de mon corps
Avec sa violence merveilleuse.

Et hier,
Comme je passais dans cette rue très ancienne
Subitement devinrent plus beaux,
Par la grâce de l'amour,
Les trottoirs, les boutiques, les pierres,
Et les murs
Et les balcons
Et les fenêtres.
Rien de laid ne subsistait en ce lieu.

Et comme je restais là,
A regarder la porte,
Comme je restais là,
Et je m'attardais devant cette maison,
Tout le fond de mon être
Me restitua l'émotion préservée de mon plaisir.


23. FAVEUR D'ALEXANDRE BALAS….


Ah!
Qu'importe qu'une roue de mon char se soit brisée,
Que j'ai dû renoncer à ce triomphe dérisoire !
Ma nuit s'écoulera humectée d'excellents vins,
Sous des roses….
Antioche m'appartient.
De ses jeunes hommes, c'est moi qu'on admire le plus.
Je suis la tendre faiblesse d'Alexandre Balas,
Son idole.
Demain, vous le verrez, le jugement de l'arbitre sera trouvé injuste.
Et si j'avais le mauvais goût d'exiger ce mensonge,
Mes flatteurs diraient que mon char boiteux est arrivé premier.


24. ITHAQUE…


Quand tu partiras pour Ithaque,
Souhaite que le chemin soit long,
Riche en péripéties et en expériences.

Ne crains ni les Lestrygons,
Ni les Cyclopes,
Ni la colère de Neptune.
Tu ne verras rien de pareil sur ta route
Si tes pensées restent hautes,
Si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer
Que par des émotions sans bassesse.

Tu ne rencontreras ni les Lestrygons,
Ni les Cyclopes,
Ni le farouche Neptune,
Si tu ne les portes pas en toi même,
Si ton cœur ne les dresse pas devant toi.

Souhaite que le chemin soit long,
Que nombreux soient les matins d'été,
Où, avec quels délices !
Tu pénétreras dans des ports vus pour la première fois.
Fais escale à des comptoirs phéniciens,
Et acquiers de belles marchandises :
Nacre et corail,
Ambre et ébène,
Et mille sortes d'entêtants parfums.
Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums.
Visite de nombreuses cités égyptiennes,
Et instruit toi avidement auprès de leurs sages.

Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit.
Ton but final est d'y parvenir,
Mais n'écourte pas ton voyage :
Mieux vaut qu'il dure de longues années,
Et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse,
Riche de tout ce que tu as gagné en chemin,
Sans attendre qu'Ithaque t'enrichisse.

Ithaque t'a donné le beau voyage :
Sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
Elle n'a plus rien d'autre à te donner.

Même si tu la trouves pauvre,
Ithaque ne t'a pas trompé.
Sage comme tu l'es devenu à la suite de tant d'expériences,
Tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques…

25. EN ATTENDANT LES BARBARES...

Qu'attendons nous, massés sur la place publique?

C'est que les Barbares seront là dans la journée.

Pourquoi semblable apathie au Sénat ?
Pourquoi les Sénateurs restent-ils sans légiférer?

Parce que les Barbares seront là dans la journée.
Quelles lois feraient désormais les Sénateurs?
Les Barbares, une fois là, feront les lois.

Pourquoi notre Empereur s'est il levé si tôt
Et pourquoi siège-t-il devant la Porte Haute
En majesté, couronne en tête, sur son trône?

Parce que les Barbares seront là dans la journée.
Et l'empereur s'apprête à recevoir leur chef.
Il a même préparé un parchemin à lui remettre
Maint titre et mainte dignité y sont portés.

Pourquoi nos deux Consuls et nos Prêteurs arborent t ils
Aujourd'hui leurs rouges toges brodées?
Pourquoi mettre ces bracelets rehaussés de tant d'améthystes
Et ces bagues où flambent des émeraudes polies?

Parce que les Barbares seront là dans la journée.
Et pareilles choses éblouissent les Barbares.

Pourquoi nos dignes Rhéteurs ne viennent ils pas débiter leurs discours
Comme de coutume et dire leur mot?

Parce que les Barbares seront là dans la journée.
Et ils sont fatigués des belles phrases et des harangues.

Pourquoi cette inquiétude tout d'un coup?
Et cet émoi?
Comme les visages sont graves!
Pourquoi les rues, les places se vident elles si vite?
Pourquoi chacun rentre-t-il chez lui la mine soucieuse?

Parce que le jour s'achève
Et que les Barbares ne sont pas venus .
Et certains qui arrivent des frontières
Assurent qu'il n'y a plus de Barbares.

A présent qu'allons nous devenir sans Barbares?
Ces gens-là, c'était une espèce de solution…




CONSTANTIN P. CAVAFY, connu également comme Konstantin ou Konstantinos Petrou Kavafis, ou Kavaphes Il est l’un des plus grands poètes grecs du XXe siècle, est né le 29 avril 1863, à Alexandrie, au sein de l’importante colonie grecque qui y vivait. Il y restera toujours, hors un séjour en Angleterre et un voyage en Grèce, et c’est aussi là qu’il mourra, le 9 avril 1933. Il passera sa vie à travailler dans un ministère, travail qu’il appréciait: il pouvait écrire à son gré. Un ensemble de poèmes qu’il avait choisis a été publié après sa mort, en 1935; d’autres, retrouvés dans ses papiers, n’étaient pas destinés à la publication. Poèmes, traduction de Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1958; Poèmes, traduction de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras, Gallimard, 1958; Poèmes anciens ou retrouvés, traduction de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris, Seghers, 1978; Kavafy [textes choisis], en français par Alexandre Nora Neeser, éditions Poètes hellènes et théâtre grec, Athènes, 1990; Œuvres poétiques, traduction de Socrate C. Zervos et Patricia Portier, Imprimerie nationale, 1993; Poèmes, préface, traduction et notes de Dominique Grandmont, Gallimard, 200; Georges Cattaui, Constantin Cavafy, collection Poètes d’Aujourd’hui de Seghers, 1964.

Constantin Kavafis Constantin Kavafis Reviewed by La Rédaction on samedi, août 29, 2009 Rating: 5
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