Poèmes
IL M'A SUFFIT DE RESTER DANS SES BRAS
Il m'a suffit de mourir dans ses bras
d'être enterrée là
de fondre sous son limon et disparaître
de renaître d'herbe sur son sol
et de renaître fleur
que chiffonne la main d'un enfant poussée dans mon pays
Il m'a suffit de demeurer dans le sein de mon pays
de terre et d'herbe et de fleur
AUTOPORTRAIT
Derrière toi s'étend un long chemin
où tu as semé tes années
Que la vie où passent entre les rives
l'amer et le doux t'a rendue philosophe
Détournant son aimable figure
elle t'a offert son visage d'ombre
Tu sais d'expérience tous ses retournements
sans pénétrer sa substance profonde
Il est temps de se poser et secouer
de tes épaules la poussière du voyage
Qu'il te suffise de n'avoir pas été vaincue
ni rompue par les flèches du destin.
INSTANT
Mon vœu est silence et quiétude ...
Ne me dis pas il était, il sera
ne me parle pas d'hier, ne va pas à demain
cet instant n'a pour moi ni d'avant ni d'après
Le temps défini pour moi n'a plus de sens
hier s'est évanoui, son écho et son ombre
Les lendemains inconnus s'étendent au loin et ne se révèlent
pas
peut-être ce que la main de mes rêves et de tes rêves
a dessiné n'était que ...
Peut-être n'espérons-nous autre chose que ...
Il n'y a d'instant que cet instant
fleur offerte à portée de notre main
ni fruit ni racines
Merveille passagère, avant de passer prenons-la
LES MARTYRS DE L'INTIFADA
Ils ont tracé la route vers la vie
l'ont pavée de corail, de forces jeunes, d'agathe ...
Ils ont levé leurs cœurs comme des pierres de braise,
des brûlots dans leurs mains et lapidé la bête du chemin.
Ils ont crié :
c'est le temps de se battre, lève-toi !
Leur voix a retenti aux oreilles du monde,
son écho a retenti aux oreilles du monde,
son écho s'est déployé jusqu'aux confins du monde.
C'est le temps de se battre , ils se sont battu, et ils sont
morts debout
astres scintillants
embrassant la vie sur la bouche.
Regarde-les au loin enlacer la mort pour exister encore ...
S'élever jusqu'au plus haut devant les yeux de l'univers,
monter,
à leur sang encordé monter monter monter ...
La mort traîtresse ne prendra pas leurs cœurs
car la résurrection, l'aube nouvelle, comme des songes les
accompagne sur le sentier du sacrifice.
Regarde-les, faucons, dans leur Intifada, ils attachent le
sol, la sainte patrie au ciel.
Traduit de l'arabe par Marianne Weiss Al-Ahram Hebdo
RETOUR A LA MER
Ile où rêvent nos rêves;
Laisse-nous partir.
Délivre-nous de tes appels,
Scintillant mirage,
Fils de lumière si transparents,
Qu'ils nous ont pris au piège
Et jetés au désert.
Ile absurde où rêvent nos rêves,
Tu nous as perdus.
Lorsque nous apparut ton ombre fraîche,
Nous avons dit: terre!
Voici l'invitation au repos,
Et de nos pas la récompense.
Ici nous nous entrons dignes et sauvés.
Ici nous déposons notre fardeau,
Et le chagrin de tant d'années.
Nous avons dit: Ici, notre âme oubliera.
Nous avons dit, nous nous sommes dit...
Le vert des prairies battait sous notre espoir.
Dieu! comme c'est beau l'espoir
Pour ceux qui errent au long des routes,
Pour ceux qui marchent la nuit sans compagnon.
Nous avons dit, nous nous sommes dit...
Ah, belle tromperie! Eclatante illusion!
Quand sur toi nous avons jeté l'ancre,
Nous rêvions.
D'abord, nous avons ramassé les pas perdus de notre vie.
Nous avons labouré, pour nos semences, les sillons de l'amour.
Nous y avons planté les désirs, l'amour
Frais, les nostalgies.
Mais la semence, nous l'avions jetée dans le sel.
Nous nous sommes trompéa, entends-tu?
Nous avons jeté la semance
Dans les entrailles stériles de la terre.
Ile où demeurent nos rêves,
Renonce à te nourrir de nos vains désirs
Et de nos vies.
Garde pour d'autres ta profusion,
Les méandres de l'ombre et de l'eau.
Déjà nous te tournons le dos.
L'espoir s'est tari en nos coeurs.
Rivages aux folles couleurs: adieu!
De nouveau, notre voilier se livre aux mains du vent.
Par lui nous porterons errance et perdition
-ô errance ô perdition-
Sur la mer hurlante et sans fond.
Nous combattrons la démesure des vagues.
Là nous offrirons nos vies.
A la mer nous laisserons nos vies en holocauste,
Et ce dernier combat.
Là prendront racine notre errance, notre destinée,
Pour s'affronter.
Là, au secret de notre sein nous mêlerons
Orgueil et blessures.
FADWA TOUQAN, est une poétesse palestinienne célèbre dans tout le monde arabe sous le nom de «poétesse de la Palestine». Née à Naplouse le 1er mars 1917, avec la déclaration Balfour, Fadwa Touqan est l’une des rares voix féminines de la poésie palestinienne. De l'époque où elle signe ses premières œuvres du pseudonyme Dananir à celle, où poète majeur de son pays, elle comptabilise de nombreuses œuvres. Ses premiers écrits sont des élégies funèbres, où elle conjugue au féminin les thèmes chers au romantisme: la nature, l’amour, la solitude, la tristesse, le désarroi, dans un style raffiné, délicat et plein de sensibilité. Sa poésie reflète différents angles de la vie palestinienne et retrace les sentiments personnels. Après la défaite de 1967, avec l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël, sa poésie puis devient plus patriotique. Fadwa Touqan a étudié l’anglais et la littérature anglaise à l’Université d’Oxford de 1962 à 1964 puis a voyagé en Europe. Fadwa Touqan avait notamment fondé à Naplouse un centre de recherche sur la situation des femmes. La parution de son autobiographie, Le Rocher et la peine, a été saluée comme un événement littéraire. Touqan est considerée comme une des premières poétesses palestiniennes et a reçu de nombreux prix litteraires tels que le Prix International de Poésie à Palerme (Italie), le Prix Jérusalem pour la Culture et le Prix des Lettres par l’OLP en 1990, le Prix des Emirats Arabes Unis la même année ainsi que le Prix d’Honneur Palestinien pour la Poésie en 1996. Ses écrits incluent ses souvenirs d’enfance dans « Mountainous Journey » (1985), les poèmes «Self-Portrait» et «Martyrs of the Intifada» ainsi que les recueils «Donne-nous de l’amour» (en arabe, 1960), «Avant que la porte ne se ferme» (en arabe, 1967) et «Daily Nightmare» (traduit en anglais, 1988). Elle fut le sujet d’un documentaire filmé dirigé par la romancière Liana Badr en 1999. Fadwa Touqan est décédée le 12 décembre 2003 à Naplouse suite à une attaque cérébrale. Bibliographie: Mon frère Ibrahim (1946); Seulement avec les jours (1952); J'ai trouvé It'(1957); Donnez-nous l'amour (1960); Devant une porte fermée (1967); La nuit et les cavaliers (1969); Seulement sur le sommet du monde (1973); Juillet et l'autre chose (1989); La dernière mélodie (2000); Le désir ardent a inspiré par la loi de la pesanteur (2003); Tuqan, Fadwa: Une autobiographie: Un voyage montagneux, saint Paul, Minnesota, Etats-Unis (1990), avec la partie deux éditée en 1993. Son autobiographie en deux volumes a été traduite en français sous les titres: Le Rocher et la peine, Paris, 1997; et Le Cri de la Pierre, Paris, 1998.