Andrea Zanzotto


Poèmes 



VERS LES PALUDS
Ou Val Bone
menacés de disparition



I

«Ce sont des lieux froids, vierges qui
éloignent
la main de l’homme» — dit un homme
triste ; et il est pourtant absorbé, en eux assumé.
Enchevêtrements d’eaux et de désirs
d’arborescences pures,
dominos de mystères
tombants l’un après l’autre en eux-mêmes
attirés dans le touffu du finir
sans fin, sans fin des aventures.

[…]


IV

Splendeur et fumée, vert plus que
palustre,
eau dans le vert même frigide,
fais que je t’interroge
plusieurs fois,
car dans ton silence vagabonde de la joie.



VERSO I PALÙ
O Val Bone
minacciati di estinzione



I

«Sono luoghi freddi, vergini, che
allontanano
la mano dell’uomo» — dice un uomo
triste; eppure egli è assorto, assunto in essi.
Intrecci d’acque e desideri
d’arborescenze pure,
domino di misteri
cadenti consecutivamente in se stessi
attirati nel folto del finire
senza fine, senza fine avventure.


[…]


IV

Fulgore e fumo, più che palustre
verde,
acqua nel verde persino frigida,
fa ch’io t’interroghi
ripetutamente, perché
nel tuo silenzio si aggira letizia.


COMME ON SE RETROUVE AVEC-DU-SANG-DE-NEZ


Comme on se retrouve avec du sang-de-nez,
sang gnome ou bambin ou babouin,
sans apparemment
– sang non pertinent –
cause aucune.
Une goutte qui pourrait être mucus
mais qui est au contraire rouge
sur la table ou sur le mouchoir,
c’est à cela que ressemble maintenant
le fait de me retrouver encore
à l’improviste face à
ces lignes
que je ne devrais désormais plus écrire
et, qui, au contraire, et sait-on/ depuis quelles rares narines/
jaillit cette négligeable épistaxis
celle qui se fait laque sur la table,/
un rouge que je ne peux refuser,
rouge de cellules n’appartenant
déjà plus à personne,
rouge innocente épistaxis
« qui passera aussitôt », et d’ailleurs,
(« c’est comme si elle était déjà passée,
certes sans besoin de tampons
ou de lumières, ou de ténèbres
ou d’effets spéciaux »)



COME CI SI TROVA COL SANGUE-DI-NASO

Come ci si trova col sangue-di-naso
sangue gnomo o bambino o babbuino
senza apparentemente
– sangue non pertienente –
alcuna causa.
Una goccia che potrebbe essere muco
ma invece è rossa
sul tavolo o sul fazzoletto
ecco a che somiglia ora
trovarmi ancora
improvvisamente davanti
alle linee
che ormai non dovrei più scrivere
e invece chi sa/ da che rare nari/
sbuca questa epistassi trascurabile
questa che si fa lacca sulla tavola/
un rosso che non posso rifiutare
rosso di cellule già non pim ad
alcuno appartenenti
rosso epistassi inocente
«che passerà subito», anzi
«che è già passata, sotto il sempre»
(«è come se fosse già passata
senza necessità, certo, di tamponi
o luci o tenebre
o effetti speciali»)



LES LAVANDIÈRES 

Toutes les femmes vont au lavoir : 
ce n’est pas un devoir 
mais un destin 
comme l’amour ou un bambin, 
ou comme notre heure quand elle vient. 
L’heure s’écoule et lave, 
avec l’eau qui s’enfuit, 
l’eau qui de cette vie aussi, 
et non seulement nos quelques habits 
nettoie.  


En dialecte Haut-Trévisan (Vénitien):


FEMENE CHE LE LAVA 

Tute le femene le va dó al lavador: 
no l’é’n mistier’sto qua 
ma l’é’n destin, cofà l’amor 
o’n fiól, o la só ora co la vien. 
La va dó l’ora e la lava 
co l’acqua che la fila via, 
l’acqua che anca de’sta vita 
e no sol de’st póche nostre robe 
la ne fa pulizhia 



Transposition en italien:


DONNE CHE LAVANO 

Tutte le donne si recano al lavatoio: 
non è un lavoro codesto,  
é un destino come l’amore 
o un figlio, o come l’ora nostra quando viene. 
Va giù l’ora e lava 
con l’acqua che fila via,  
l’acqua che anche di questa vita 
e non solo di questi nostri pochi indumenti 
ci fa pulizia. 



CANTILÈNE LONDONIENNE


P'tit peton,
qu'as-tu vu?
Cette poupelette nue,
ce corpsbambin, ces rosettes
cette violette qui te console,
cette peau lisse comme soie,
ces bouclettes pincettes,
ces p'tits yeux qui fixement te regardent
et qui savent dire «j'taime 'bbien»,
ces courgelettes, cette fentelette -

sont des beautés qu'il faut mener à la noce,
noces solennelles de celle,
de celle qui hier encore était petite fille.


En dialecte Haut-Trévisan (Vénitien):


Pin pidìn 
cosa gàstu visto? 
Sta piavoléta nua 
'sto corpezìn 'ste rozéte 
'sta viola che te consola 
'sta pèle lisa come séa 
'sti piseghéti de risi 
'sti océti che te varda fisi 
e che sa dir «te vo'i ben» 
'ste suchéte 'sta sfezéta - 

le ze le belése da portar a nòse 
a nòse conpòste de chéa 
che jèri la jèra putèa.



Transposition en italien:


Piè-piedino
che hai visto?
Questa bambolina nuda 
questo corpicino queste rosette 
questa viola che ti consola 
questa pelle liscia come seta 
questi riccioli pizzichini 
questi occhietti che ti guardano fissi 
e che san dire «ti voglio bene»
queste zucchette questa fessurina -

sono le bellezze da portare a nozze
nozze composte di quella
che ieri era bambina.




Traduit de l’italien par Philippe Di Meo




ANDREA ZANZOTTO,  né en 1921 à Pieve di Soligo, en Vénétie, on peut - et l'on doit sans doute - présenter La Beauté (La Beltà) comme un recueil central, mais encore convient-il de définir le mot "centre " dans l'univers d'un auteur qui apparaît désormais comme à la fois le plus séduisant et le plus difficile de ceux qui vinrent après Ungaretti et Montale dans la très riche Italie poétique du XXe siècle: au moment où la totalité de ses poèmes et un large choix de ses proses connaissent en langue originale, dans la prestigieuse collection "I Meridiani"1 - équivalent de la Pléiade -, leur troisième réédition en un an, il faut insister sur cette notion de " centre " pour relativiser l'image, plutôt convenue, d'un Zanzotto poète de la déconstruction et de l'expérimentation linguistique tous azimuts, ayant lu Lacan autant que Pétrarque et surtout Hölderlin. En réalité, depuis son premier recueil Derrière le paysage, paru en 1951 et qui dialoguait avec le courant hermétique (Luzi, Bigongiari, les poèmes de jeunesse de Sereni), Zanzotto est en quête d'un ancrage crédible pour la langue, d'un pacte nouveau entre la poésie et le monde, après le deuil de l'orphisme et le vertige des signifiants. Il n'est pas un expérimentateur impénitent, mais un poète profond dont la douceur subvertit le langage de façon bien plus radicale que les mots d'ordre avant-gardistes. Andrea Zanzotto est mort mardi 18 octobre 2011 à Conegliano quelques jours seulement après avoir fêté ses quatre-vingt-dix ans. Œuvres disponibles en français: Vers, dans la paysage 1986;  Le Galaté au bois 1986; Du paysage à l’idiome 1994; La Beauté 2000; Météo 2002; Idiome 2006; Phosphènes 2010.

Andrea Zanzotto Andrea Zanzotto Reviewed by La Rédaction on dimanche, décembre 06, 2015 Rating: 5

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