Six Poèmes
De: Cellule (2000)
LUMIÈRE COULEUR MIEL
Telle une abeille nocturne la pensée
S'en venait dans l'ombre
Eclairer
Les taxes de l'amour
Et à force de fatigue le corps était si dur à porter
Si lourd à mouvoir
Que glissant à l'eau sans retour
Il se laissa aller du côté du sommeil
SORTIE
Et il vaut mieux sortir
Du Paradis
Avec la connaissance et les ailes repliées
Pour aller là où s’ourdissent les torts
Les fautes, les délits
Les crimes
Là où se défait la magie du monde
LE COPYRIGHT DE LA VIE
(Kostis Palamas dans le Purgatoire de Dante)
Quiconque eut pour amère berceuse le chant funèbre
Les montagnes l’attendent
Les vallées l’abritent
La mer le revêt de noir
L’emplissent les hivers
EN PRIÈRE AVANT LA FIN
Le banc de bois recouvert de sa nappe
Le siège, la table basse, la lucarne
Et les murs nus
Rien d'ouvert que le livre
Et là au milieu tournoient
Les aigles proie d'une illusion sacrée
Les mains presque de cire à force de prier
Les soldats au loin guettent malgré euc les lueurs
De l'aube, les disciples enroulés dans leur sommeil
Et leur pleine certitude
Et tout le jardin respire doucemente comme s'il rappelait
Le trouble d'un autre instant fatidique
Dans l'ombre
Sur le bois paisible crucifié
Il expire face au levant et des secousses l'ébranlent
Et séparent le corps d'avec la terre
Traduit du grec par Alexandre Zotos
en collaboration avec Louis Martinez
De: Complexes et Germains (2003)
NOMS DE LIEUX: L’HOMME
Ces deux hommes se ressemblent
Comme deux mains qui se suivent
L’une l’autre dans leur mouvement
Changeant de position dans l’attente
Le temps passant, se ressemblent
L’une l’autre sa résistance à l’autre
Ils clouent d’un regard
L’un l’amour de l’autre
Ensemble pétrissant dans l’argile
L’un l’histoire de l’autre
Usurpant l’un la figure de l’autre
Ils s’entredéchirent, ils s’entraident
Ils pourraient être fils et père
Un fils face à la vérité de son père
Un père derrière le souvenir de son fils
Traduit du grec par Kostas Nassikas et Hervé Bauer
De: Ce que signifient les Ithaques - 20 poètes grecs contemporains (2005)
MNÉMOSYNE (LA GRÂCE)
En un cierge comment allumer une âme entière
Pendant des années non consumée, et qui par sa migration non baptisée
en mots de vivants – ce n’est pas possible – dès qu’elle entend
les matines des morts se réveille dans son propre sang
En cherchant donc sa mort, pour espérer
Un jour en l’oubli, en passant par la fumée bleue
De la mèche qui fume encore chaude,
Enfumée de poudre par des hordes, cherchant de la terre
Où vivre l’expérience de sa mort dans un astre matinal
Pour espérer en une mort commune
En lamentation mortelle à mener, fini dans le malléable
Et dans l’infini. Parce que comment vivre avec tant d’inconnu
Alentour, la mort devient le plus connu,
Le plus familier dans la complexité d’un monde-énigme
Qui dans le visible cherche un fil venant de l’invisible et
Le forge en des villes qui réclament du ciel
En cheminant, élevées, vers tout ce qui ne se touche,
Ν’a pas de temps et pourtant est là siégeant
Dans cet angle, où encore plus qu’un temple
Se défile la lumière
Là dans l’apparition où l’œil
avec fureur dépasse le message, lent et
Indifférent, pour cela aveugle, pour cela peu profond
sans âme et sans esprit, tout juste mort
Là encore à se réveiller dans la sueur
du cauchemar, tâtonnant plein d’angoisse les membres
pour constater sur son propre corps
Tout ce qui encore vivant tremble d’une trouvaille d’absence
et décline intact
Traduit de grec par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis
THANASSIS HATZOPOULOS est né à Aliveri (Eubée) en 1961. Après des études de medecine à l’Université d’Athènes, il s’est specialisé en pedopsychiatrie et il est psychanalyste, membre de la Société de Psychanalyse Freudienne (SPF) et de l’International Winnicott Association (IWA). En 2014 il a été nommé par la Republique Française Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Sa poésie a été publiée dans les recueils suivants: De leur propre corps (1986), La Dormition (1988), Le sans lumière (1990), Depuis l’origine de la rosée (1991), Le mort de même sang (1994), Place au soleil (1996), Presque present (1997), Canon (1998), Cellule (2000) [Prix Max Jacob étranger 2013], Complexes et Germains (2003), No humans’ land (reference) (2005), Lettres pour mosaique (2006), Passage (2007), Métope (2007) et Face à la terre (2012).