Six Poèmes
LES GESTES
Personnes dont les gestes manqués tremblent
un peu
Personnes dont les gestes manqués. Il y a des personnes
pour qui
faire des gestes est une chose
extrêmement difficile. Elles essaient et
réessaient encore leurs
gestes manqués, et quand l’un réussit il semble que tous
réussissent, mais la file
la plus longue est celle des gestes
manqués; [quelle
file interminable!!
Les gestes maladroits répétés
après tant d’années, les gestes
répétés pendant tant
d’années, les gestes comiques,
les gestes un peu suicidaires.
les gestes qui attendent. Les gestes
qui ne se font pas comprendre, les demandes
d’aide
non acceptées,
les demandes
maladroites,
continuelles. Les
demandes
suicidaires. Les gestes gauches
un peu honteux, blasphématoires. Les gestes
hautains, Les
gestes
qui n’ont ni poids ni valeur parce que
maladroits, les gestes
tranquillement maladroits, routiniers,
les gestes
ironiques.
Les gestes
résignés
Les gestes consciemment
gauches,
conscients d’être
maladroits et gauches,
Les gestes qui
contiennent
une implicite
excuse
et ceux qui feignent
d’être hautains.
Les gestes qui
savent
qu’il n’y a rien à faire.
Les gestes
silencieux
qui s’
isolent
Les gestes orgueilleusement
bien peu adroits
Les gestes de celui qui sait être maladroit
et fait des gestes
pour s’éloigner
pour ne pas
avoir l’air
Les gestes
résignés
Les gestes agacés
de celui qui sait
être gauche et que l’on considère
maladroit
Les gestes hébétés
de celui qui ne sait pas bien
ce qu’il fait
les gestes dépités
qui demandent solitude
Ou bien le geste maladroit
définitif, celui de ne
communiquer plus
de prendre la tangente vers sa propre
solitude
et de ne communiquer plus
plus plus
les tics
les petits tics
les gestes qui cherchent à éloigner
quelqu’un
imaginé ou
imaginaire
se savoir
jugés
[par tous]
savoir que ses propres gestes
sont
jugés
Les gestes de celui qui sent à l’intérieur
une faiblesse
qui lui rend difficile de faire
n’importe quel geste
le geste silencieux
comme s’il voulait que les autres comprennent
ce dont il a besoin
sans besoin de bouger
le geste de ne faire
aucun geste
Les gestes
imaginaires
imaginer
de faire
un geste
Les gestes sous l’eau
faire des gestes sous l’eau
en faisant signe aux gens qui passent
mais personne ne découvre ton doigt
qui bouge sous l’eau
Les gestes étrangers
il y a toujours quelqu’un qui regarde
les gestes que l’on fait
et établit qu’ils sont
maladroits fous déments gauches gratuits
ridicules
observables
il y a toujours quelqu’un qui établit
que tu es trop maigre
trop gras
un peu trop silencieux
peu cohérent,
un peu étrange
un peu dérangé [(dit
à voix basse)],
un type peu
pratique
plein de bonne volonté mais
trop solitaire,
trop introverti
trop peu pratique
trop peu social,
Les gestes qui évitent
les gens. Les gestes qui évitent
d’être vus. Les gestes
qui couvrent, qui cherchent
à couvrir.
Les gestes qui protègent
instinctivement le visage,
la tête les mains
la bouche, même
inconsciemment
Les tics
les tics un peu ridicules
Les gestes inutiles
La peur des bruits. Le
désir
de ne pas être vus, le geste
de se couvrir, le
désir de se cacher, le
geste de
se couvrir la tête. Les gestes
de celui qui
a la tête
ailleurs, le
geste de se couvrir
la tête, le visage,
la bouche, les gestes
purs. Les pensées
pures, les pensées
candides, virginales, pures.
les gestes qui font
le mal sans le savoir
I GESTI
Persone i cui gesti sbagliati tremano
un po’
Persone i cui gesti sbagliati. Ci sono persone
per cui
fare gesti è una cosa
difficilissima. Provano e
riprovano i loro
gesti sbagliati, e quando uno riesce sembra che tutti
riescano, ma la fila
più lunga è quella dei gesti
sbagliati, [che
fila interminabile!!
I gesti maldestri ripetuti
dopo tanti anni, i gesti
ripetuti per tanti
anni, i gesti comici,
i gesti un po’ suicidi.
i gesti interlocutori. I gesti
che non si fanno capire, le richieste
di aiuto
non accettate,
le richieste
maldestre,
continuate. le
richieste
suicide. I gesti goffi
un po’ vergognosi, blasfemi. I gesti
altezzosi, I
gesti
che non hanno peso o valore perché
maldestri, i gesti
tranquillamente maldestri, abitudinari,
i gesti
ironici.
I gesti
rassegnati
I gesti consapevolmente
goffi,
consapevoli
di essere
maldestri e goffi,
I gesti che
contengono
un’implicita
scusa
e quelli che fingono
di essere superbi
I gesti che
sanno
che non c’è niente da fare.
I gesti
silenziosi
che si
appartano
I gesti orgogliosamente
ben poco destri
I gesti di chi sa di essere maldestro
e fa dei gesti
per
allontanarsi
per non
figurare
I gesti
rassegnati
I gesti infastiditi
di chi sa di
essere goffo e di essere
considerato maldestro
I gesti straniti
di chi non sa bene
quello che fa
i gesti indispettiti
che chiedono solitudine
Oppure il gesto maldestro
definitivo, quello di non
comunicare più
di partire per la tangente per la propria
solitudine
e non comunicare più
più più
i tic
i piccoli tic
i gesti che cercano di allontanare
qualcuno
immaginato o
immaginario
il sapersi
giudicati
[da tutti]
il sapere che i propri gesti
sono
giudicati
I gesti di chi sente dentro
una debolezza
che gli rende difficile fare
qualsiasi gesto
il gesto silenzioso
come se volesse che gli altri capissero
ciò di cui ha bisogno
senza bisogno di muoversi
il gesto di non fare
nessun gesto
I gesti
immaginari
l’immaginare
di fare
un gesto
i gesti sott’acqua
fare dei gesti sott’acqua
indicando alla gente che passa
ma nessuno scopre il tuo dito
che si muove sott’acqua
I gesti estranei
c’è sempre qualcuno che guarda
i gesti che si fanno
e stabilisce che sono
maldestri folli pazzi goffi gratuiti
ridicoli
osservabili
c’è sempre qualcuno che stabilisce
che sei troppo magro
troppo grasso
un po’ troppo silenzioso
poco coerente,
un po’ strano
un po’ disturbato. [(detto
a voce bassa).],
un tipo poco
pratico
volenteroso ma
troppo solitario,
troppo introverso
troppo poco pratico
troppo poco sociale,
I gesti che evitano
la gente. I gesti che evitano
di esser visti. I gesti
che coprono, che cercano
di coprire.
I gesti che proteggono
istintivamente la faccia,
la testa le mani
la bocca, anche se
inconsapevoli
I tic
i tic un po’ ridicoli
I gesti inutili
La paura dei rumori. Il
desiderio
di non esser visti, il gesto
di coprirsi, il
desiderio di nascondersi, il
gesto di
coprirsi la testa. I gesti
di chi
ha la testa
da un’altra parte, il
gesto di coprirsi
la testa, la faccia,
la bocca, i gesti
illibati. I pensieri
illibati, i pensieri
candidi, virginali, illibati.
i gesti che fanno
il male senza saperlo
LUMIÈRE
La lumière te blesse et te fait dormir
la lumière te blesse et te fait dormir,
la lumière te blesse
la lumière te blesse toi qui dormais et qui
voudrait continuer à te recroqueviller chassieux,
dans un lit d’odeur humaine.
Mais ce n’est pas possible.
Doublement
La lumière te blesse et te fait dormir,
tremblant,
comme si tu ne pouvais dormir,
comme si tu ne pouvais te recroqueviller sans dormir,
sans que la lumière ne te blesse,
tatillonne,
maternelle, bureaucratiquement
assassine.
LUCE
La luce ti ferisce e ti fa dormire
La luce ti ferisce e ti fa dormire,
la luce ti ferisce
la luce ferisce te che dormivi e che
vorresti continuare a rannicchiarti cisposo,
in un letto di umano odore.
Ma non è possibile.
Doppiamente
La luce ti ferisce e ti fa dormire,
tremando,
come se tu non potessi dormire,
come se tu non potessi rannicchiarti senza dormire,
senza che la luce ti ferisca,
fiscale,
materna, burocraticamente
assassina.
MAGRITTE
En soi la feuille contient déjà l’arbre
la silhouette de l’homme contient sa soirée
En soi le nuage contient l’horizon
et la mémoire est une blessure
sur la tempe d’une statue olympique.
La pomme s’élève sur un cou inexistant
tête végétale
et le titre est toujours nécessaire,
toujours nécessaire.
Tandis que le nuage entre dans notre intimité,
que le monde végétal se mêle à l’animalité,
les habits se mêlent au corps
les fonctions au moyen (l’oiseau avec le ciel)
une pomme écoute indiscrète
et nous, avec nos trois lunes,
nous regardons les pains défiler dans le ciel,
et par la fenêtre, inquiétants,
cinquante de nos moi
nous regardent décomposés
horrible
vendange de mort.
Tandis qu’un oiseau de pierre
vole
dans un ciel peint
de nos visages
adieu soleil,
triste sur l’habit noir.
MAGRITTE
La foglia contiene già in sé l’albero
il profilo dell’uomo contiene la sua serata
La nuvola contiene in sè l’orizzonte
e la memoria è una ferita
sulla tempia di una statua olimpica.
La mela si erge sopra un collo inesistente,
testa vegetale
e il titolo è sempre necessario,
sempre necessario.
Mentre la nuvola entra nella nostra intimità,
e il mondo vegetale si mischia con quello animale,
i vestiti si mischiano col corpo
le funzioni col mezzo (l’uccello col cielo)
una mela ascolta invadente
e noi, con le nostre tre lune,
guardiamo i pani sfilare nel cielo,
e dalla finestra, inquietanti,
ci guardano scomposti
cinquanta dei nostri ii
orrenda
vendemmia di morte.
Mentre un uccello di pietra
vola
in un cielo dipinto
delle nostre facce
addio sole,
triste sul vestito nero.
POÉSIE DÉMENTE
Le monde fut fait
en très peu de temps,
dans de grandes disputes
et seulement au dernier
moment il fut décidé,
à défaut de confiance,
d’instituer la mort et de diviser les sexes.
Dieu était très jaloux
de ses quatre ou cinq collèges et par dépit
il dit:
Mais de toute façon dans quelques années il seront tous cassés, l’un sans
un bras, l’autre sans une jambe, autant
les faire mourir!
Et un autre lui dit:
Et ces nouveaux comment tu les fais?
Je ne les fais pas moi, ils les font
eux-mêmes! La belle affaire. Et ainsi,
au dernier moment,
en quelques minutes, ils inventèrent l’instinct sexuel,
et l’enfance. Ils furent au bord d’en venir aux mains.
Et l’un dit: mais tu ne vois donc pas
qu’ainsi il y aura plein d’ennuis?
Qu’est-ce qu’on s’en fiche- dit Dieu.
-De toute façon ce monde ne me plaît pas.
Il est raté. La belle affaire-
intervint un autre. -Où voulais-tu en venir, avec l’idée que tous doivent se manger
les uns les autres? Il est logique qu’ils
s’usent. Et alors? Toi, qu’est-ce que tu aurais fait?
Ils furent au bord
d’en venir aux mains.
POESIA DEMENTE
Il mondo fu fatto
in pochissimo tempo,
tra grandi litigate,
e solo all’ultimo
momento fu deciso,
per sfiducia,
di istituire la morte e di dividere i sessi.
Dio era molto geloso
dei suoi quattro o cinque colleghi e per ripicca
disse:
Ma tanto in pochi anni saranno tutti rotti, chi senza
un braccio, chi senza una gamba, tanto vale
farli morire!
E un altro gli disse:
E quelli nuovi come li fai?
Non li faccio io, li fanno
loro! Bella roba. E così,
all’ultimo momento,
in pochi minuti, inventarono l’istinto sessuale,
e l’infanzia. Quasi vennero alle mani.
E uno disse: ma non vedi
che così sarà pieno di guai?
Chi se ne frega – disse Dio.
– Tanto questo mondo non mi piace.
E’ venuto male. Bella roba –
interloquì un altro. – Cosa pretendevi, con l’idea che tutti devono mangiarsi
l’uno con l’altro? E’ logico che si sarebbero
consumati. E allora? Tu che avresti fatto?
Quasi
vennero alle mani.
AUTOMNE
Quand l’imagination
découvre l’invention de soi-même
elle se lasse
d’inventer la réalité
les heures n’existent plus, ni les jours, l’existence et la vie se confondent.
C’est cela le paradis? ou l’automne?
l’hiver précéderait-il l’automne? C’est cela la cabale?
tout comme la guerre précède la paix.
l’eau est l’eau du puits, vagues molles, concentriques.
Ce que rappelle ton sourire incertain. Un souvenir d’au-delà les mers, d’au-delà des colonnes du soleil. Les feuilles tournent et retournent en arrière.
tu n’imagines pas de vivre en un château enchanté, et
de te réveiller après trente ans, en croyant avoir dormi
dix minutes
peut-être ce sont les toiles d’araignées qui ont dormi, ou peut-être avons-nous dormi tous deux. j’ai abandonné
dans tes terreurs les miennes. l’automne
a tout juste commencé.
AUTUNNO
Quando la fantasia
scopre l’invenzione di se stessa
si stanca
di inventare la realtà
non esistono le ore, non esistono i giorni, l’esistenza e la vita si
confondono.
E’ questo il paradiso? o l’autunno?
l’inverno precede dunque l’autunno? E’ questa la cabala?
così come la guerra precede la pace.
l’acqua è acqua di pozzo, molli onde, concentriche.
Ciò che richiama il tuo incerto sorriso. Un ricordo oltre i mari, oltre
le colonne di sole. Le foglie girano e riportano indietro.
tu non immagini di vivere in un castello incantato, e
di svegliarti dopo trent’anni, credendo di aver dormito
dieci minuti
forse sono le ragnatele ad aver dormito, o forse abbiamo
dormito entrambi. abbandonai
nei tuoi terrori i miei. l’autunno
è appena iniziato.
NOUS, TANDIS QUE LA MAISON S’ÉCROULE
Nous, qui sommes en train de vivre le début de la débâcle de la civilisation humaine,
nous nous soucions de changer le papier peint
et de lustrer les meubles
tandis que la maison s’écroule, nous nous consacrons à de ruineuses disputes avec le gardien
et nous faisons des projets pour améliorer (embellir) les serrures de nos maisons
nos maisons sont en train de s’écrouler et nous nous soucions de les embellir
parce que les animaux domestiques ont besoin d’une ambiance agréable
NOI, MENTRE LA CASA CROLLA
Noi, che stiamo vivendo l’inizio del tracollo della civiltà umana,
ci preoccupiamo di cambiare la carta da parati
e di lucidare i mobili
mentre la casa crolla ci dedichiamo a rovinose dispute con il portiere
e facciamo progetti per migliorare (abbellire) le serrature delle nostre case
le nostre case stanno cadendo e noi ci preoccupiamo di abbellirle
perché gli animali domestici hanno bisogno di un ambiente sereno
Traduit par Olivier Favier.
CARLO BORDINI, né à Rome en 1938 est poète et romancier. Il a enseigné l’histoire moderne à l’Université de Rome La Sapienza. Ses poésies complètes sont parues chez Luca Sossella en 2010. Oeuvres poétiques en français: Péril, poème hivernal (1988); Traduction de Daniel Colomar; Danger / Pericolo (2010). Traduction d’Olivier Favier
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