Défaillance dans le pur instant |
Falla en el instante puro
Et quelle part de moi-même s'embarque, quelle route prend-elle ?
...It looked as if a night of dark intent
Was coming, and not only a night, an age...
Robert Frost, Once by the Pacific
Et quelle part de moi-même s'embarque, quelle route prend-elle ;
de ma main, la musique maladroite, aveugle,
et une blessure dans l'air que j'expire.
J'ignore le passé et l'avenir de l'étoile,
ce qui se cache sous la terre que je foule,
pourquoi ce que l'on cherche est toujours de l'autre côté.
Je suis seul. Tu es seule.
Le chien arrive et nous lèche les mains.
Il arrive ou est-ce un rêve ?
Je laisse une marque dans le bois,
Celle-ci, avec la pointe du couteau.
Je laisse une marque ou je le rêve ?
Oui, nous parlions de constellations lointaines,
de prodiges soudains, de pluies étranges ;
mais le silence survint et se fit épais,
les ténèbres surgirent en plein jour,
et raretés et miracles n'eurent plus raison d'être.
Et nous n'avons pas pu nous vêtir.
Et nous n'avons pas pu nous dénuder.
Y de mí qué se embarca, qué ruta emprende…
…It looked as if a night of dark intent
Was coming, and not only a night, an age…
Robert Frost, Once by the Pacific
Y de mí qué se embarca, qué ruta emprende;
de mi mano, torpe música ciega
y una herida en el aire que exhalo.
Ignoro el pasado y el porvenir de la estrella,
qué se oculta bajo la tierra que piso,
por qué lo que se busca queda siempre del otro lado.
Estoy solo. Estás sola.
El perro acude y nos lame las manos.
¿Acude o se trata de un sueño?
Dejo una marca en la madera.
Ésta, con la punta del cuchillo.
¿Dejo una marca o lo sueño?
Sí, hablábamos de remotas constelaciones,
de súbitos prodigios, de lluvias extrañas;
pero sobrevino el silencio y fue espeso,
se hizo la tiniebla en pleno día
y ya no hubo razón para rarezas y milagros.
Y no pudimos vestirnos.
Y no pudimos desnudarnos.
Après tout, qu'est-ce que je mérite ?
À Luis Alberto Vittor
Après tout, qu'est-ce que je mérite ?
Suis-je, enfin, digne de l'allégresse vocale,
du courant indocile et pur, du vent
de l'Ouest, d'une bouffée d'orgueil
de la voûte consolidée ou fluide
de l'enfance rénovée, de l'ascension
de la vapeur, par-dessus la brume,
vers la Strate ? Quels
lainage, nuance, constellation,
légèreté, passage, gravité je mérite ?
Serais-je plus que la pierre qui roule
au passage du cheval, plus que l'oiseau
qui mue son plumage de rouge en gris lorsqu'il est enfermé,
plus que la dernière voix du chœur,
du plus lointain des Angélus,
du plus lointain et oublié des temples ?
Al fin y al cabo, ¿qué merezco?
A Luis Alberto Vittor
Al fin y al cabo, ¿qué merezco?
¿Soy, finalmente, digno de la alegría vocal,
la corriente indócil y pura, el viento
del Oeste, el seno henchido,
la bóveda consolidada o fluida,
la renovada niñez, la ascensión
en vapor, por encima de la niebla,
hacia el Estrato? ¿Qué
cardadura, matiz, constelado,
levedad, pasaje, gravedad merezco?
¿Acaso soy más que la piedra que rueda,
al paso del caballo, que el ave
que muda su plumaje de rojo a gris cuando se la enjaula,
que la última voz en el coro,
en el más remoto de los Ángelus,
en el más remoto y olvidado de los templos?
Dans le vide qui surgit à la fin de la conversation...
Dans le vide qui surgit à la fin de la conversation,
dans l'heure sans noce ni récolte,
dans le délit sans témoin,
dans l'oracle imprécis,
dans la bouche édentée,
dans la langue oubliée;
quand le berger égare son troupeau,
quand pas même l'ombre
ne trouve le calme, le purgatoire,
quand le paysage reste le même,
le rêve devient roche,
quand il ne semble pas y avoir d'issue
ni par-dessus ni par-dessous;
où est la science et où est le miracle,
la maison pour l'errant,
le fruit pour l'amant,
le rayon vrai, qui ne nait pas
de l'orage, la troisième vibration,
l'appel insistant,
l'éveil soudain
comme quelqu'un qui surgit de la tempête,
un torrent?
En el vacío que sobreviene al final de la conversación...
En el vacío que sobreviene al final de la conversación,
en la hora sin boda ni cosecha,
en el ilícito sin testigo,
en el oráculo impreciso,
en la boca desdentada,
en el idioma olvidado;
cuando el pastor extravía su rebaño,
cuando ni la sombra
encuentra sosiego, purgatorio,
cuando el paisaje no cambia,
el sueño se vuelve roca,
cuando pareciera no existir escapatoria
ni por arriba ni por abajo;
¿dónde la ciencia y dónde el milagro,
la casa para el errabundo,
el fruto para el amante,
el rayo verdadero, que no nace
de la tormenta, la terca vibración,
el insistente llamado,
el súbito despertar
como quien surge de la tempestad,
un torrente?
Il s'arrêta et dit : un cœur en chaque chose. Et...
Il s'arrêta et dit : un cœur en chaque chose. Et
il continua à pousser sa charrette remplie d'herbe
au-delà du vaste jardin près de la maison ;
pendant que résonna la voix, un instant,
dans l'air, ramenés de l'enfance,
des taons, des mouches, des papillons
et le temps qui retourne au jour
de la veille de la première pluie,
la vie dépourvue de tout poids
en direction des nids,
en chaque nid où un oiseau régurgitait.
Se detuvo y dijo: un corazón en cada cosa. Y...
Se detuvo y dijo: un corazón en cada cosa. Y
siguió empujando su carretilla cargada de pasto
más allá del amplio jardín junto a la casa;
mientras duró la voz, un instante,
por el aire, traídos desde la infancia,
tábanos, moscas, mariposas
y el tiempo de regreso al día
anterior a la primera lluvia,
la vida despojada de todo peso
en dirección a los nidos,
en cada nido un ave que regurgitaba.
Il jeûne. L'heure s'accroit comme toujours dans son écume...
Il jeûne. L'heure s'accroit comme toujours dans son écume
et avance vers la conclusion d'une nouvelle journée ;
mais cette fois la terre se redresse un peu
et le ciel se débarrasse en partie de ce qui le cache.
C'est parce qu’il jeûne que le vent rend à l'air
pour un moment son innocence perdue
et dans l'avant-dernière gare
quelqu'un retrouve sa valise oubliée.
Pas de questions, cette fois-ci.
Il y a une femme qui coud
et un petit animal qui tient en équilibre sur une poutre.
Il y a un enfant qui vole
accroché à la queue d'une comète
et une chaise qui attend celui qui y prendra place
et y contemplera la grande iridescence promise.
Il jeûne et en jeûnant rien ne se montre en excès,
rien ne se résigne à sa dérive,
une musique surgit du métal et du bois,
du fond d'un verre promis à la pluie.
Ayuna. La hora crece como siempre en su espuma...
Ayuna. La hora crece como siempre en su espuma
y avanza hacia la conclusión de otro día;
pero esta vez la tierra se endereza un poco
y el cielo se despoja en parte de aquello que lo oculta.
Porque ayuna es que el viento devuelve al aire
por un momento su perdida inocencia
y en la penúltima estación
alguien se reencuentra con su olvidado equipaje.
Esta vez no hay preguntas.
Hay una mujer que cose
y un pequeño animal haciendo equilibrio sobre una viga.
Hay un niño que vuela
aferrado a la cola de un cometa
y una silla que aguarda al que sentado en ella
contemplará la prometida gran iridiscencia.
Ayuna y al hacerlo nada se presenta en exceso,
nada se resigna a su deriva,
una música sale del metal y la madera,
del fondo del vaso prometido a la lluvia.
Peut-être au centre, où tout se réunit et se rassemble...
Peut-être au centre, où tout se réunit et se rassemble;
là, il se peut que le voyageur arrive sain et sauf à destination
et que l'enfant avance dans la mer sans se noyer.
Là, oreiller et aliment.
Peut-être la femme en haut de l'escalier,
l'homme au pied, l'appelant
par tous ses noms, même secrets.
Entre l'un et l'autre, il y a l'obscurité,
mais aucun des deux n'a besoin d'une lampe.
Qui marche sur le fil qui relie un pôle et l'autre pôle ?
Qui, sans renoncer au rêve, avive
et résume, en une simple et tendre calligraphie,
le présent de la bête, l'avenir de l'étoile ?
Tal vez en el centro, donde todo se reúne y concentra...
Tal vez en el centro, donde todo se reúne y concentra;
allí, quizás, el viajero que arriba a salvo a destino
y el niño que entra al mar y no se ahoga.
Allí, almohada y alimento.
Tal vez la mujer en lo alto de la escalera,
el hombre al pie, llamándola
por todos sus nombres, incluso los secretos.
Entre uno y otro hay oscuridad
pero ninguno de los dos necesita una lámpara.
¿Quién camina sobre el hilo que une polo y polo?
¿Quién sin dejar de soñar despierta
y resume, en simple y amorosa caligrafía,
el presente de la bestia, el porvenir de la estrella?
J'ai pu l'atteindre, au moins...
J'ai pu l'atteindre, au moins
un seul instant, pour la regarder dans les yeux ;
je ne l'ai pas fait : je me suis contenté à peine
d'une mémoire délayée,
imprégnée de javel,
d'eau trouble et lente vers l'égout.
Et maintenant? Je sens qu'une part de ce qui brûle
se sépare de son embrasement,
le fil à plomb s'écarte
d'un degré avant de toucher le sol.
Il y a, en toute chose, une note désaccordée,
une force en repli,
quelque chose qui ne gravit pas,
mais s'achève toujours, à la fin de la journée,
avec les débris, les ressacs...
L'occasion ne sera pas renouvelée,
L'heure est autre, comme le monde est autre;
L'ampleur devient minuscule,
la rive limpide se couvre de galets
et meurtrit le pied à chaque pas.
Quelle clarté n'est-elle pas désormais celle de l'allumette frottée,
lumière qui, furtivement,
sur tout débris de bouteille se reflète ?
Pude alcanzarla, al menos...
Pude alcanzarla, al menos
por un momento, para mirarla a los ojos;
no lo hice: me conformé apenas
con una desleída memoria,
impregnada de lejía,
de agua enturbiada y lenta hacia el albañal.
¿Y ahora? Siento que de lo que arde
se separa una parte de su arder,
la plomada se desvía
un grado antes de tocar el suelo.
Hay, en todo, una nota en discordia,
una fuerza en repliegue,
algo que en vez de ascender
acaba siempre, al final de la jornada,
junto a despojos, resacas...
La ocasión no se renueva,
otra es la hora como otro, el mundo;
lo vasto se hace diminuto,
la limpia orilla se cubre de guijarros
y lastima el pie a cada paso.
¿Qué claridad ahora no es de fósforo frotado,
luz que, fugazmente,
en cualquier pedazo de botella se refleja?
Mais la nuit est aveugle et le jour cause l'inquiétude...
Mais la nuit est aveugle et le jour cause l'inquiétude
de l'animal qui flaire soudain une nouvelle odeur dans l'air ;
les heures ne défont pas la mixture, l’amas
et avancent sur la base de reflets, de réflexions,
de lumières faibles qui se réverbèrent ; la ruade
abandonne sa lutte contre le dard,
le fils ne quitte pas la maison,
c'est la maison qui l'avale.
Pero la noche es ciega y el día trae inquietud...
Pero la noche es ciega y el día trae inquietud
de animal que husmea un súbito nuevo olor en el aire;
las horas no resuelven la mixtura, el amasijo
y avanzan en base a reflejos, a cavilaciones,
a luces bajas que reverberan; la coz
abandona su lucha contra el aguijón,
el hijo no abandona la casa,
la casa se lo traga.
Ici et seul, ne parlant...
AH ! LE POÈTE écrit pour le vide des cieux...
Pierre Jean Jouve
Ici et seul, ne parlant à personne.
De son feuillage, l'arbre constant et ombrageux.
L'enfant est sans pitié et s'égare dans l'eau.
Il s'éteint, se renferme dans son secret.
Pour la sainteté, il suffit d'un silence épais.
Pour tuer, il suffit d'une couleur, ocre ou vermeil.
Ils encerclent la ville, la dévastent et l'incendient.
La profondeur se divise et la pêche n'aura pas lieu.
Ils ramasseront des mouchoirs où rien ne perdure.
Il y aura, sûrement, un œil tombé,
et un Non entre pleurs et sang.
Une fumée trompeuse, sans feu.
Un père taillé dans le bronze, éternel et immobile.
De la chaux de Chine, un siècle sans ton sexe.
L'arc se tend, la flèche se brise.
La réponse éclate contre le métal de l'écho.
Le cœur est maladroit, tout oiseau fait naufrage.
Un vide dans lequel se jettent le temps et les moteurs.
Un langage que moi seul ne connais.
Ou connaissent certains étranges animaux, les morts.
Aquí y solo, hablando...
AH! LE POÉTE écrit pour le vide des cieux...
Pierre Jean Jouve
Aquí y solo, hablando con nadie.
Desde el follaje, el constante árbol sombrío.
El niño no se apiada y se extravía en el agua.
Se apaga, se cierra con su secreto.
Para la santidad basta con un silencio espeso.
Para matar basta con un color, ocre o bermejo.
Rodean la ciudad, la devastan e incendian.
Lo profundo se divide y la pesca no se inicia.
Recogerán pañuelos donde nada perdura.
Habrá, seguro, un ojo caído
y un No entre llanto y sangre.
Un humo erróneo, sin fuego.
Un padre tallado en bronce, eterno e inmóvil.
Una cal de la China, un siglo sin tu sexo.
El arco se tensa, la flecha se parte.
Se rompe la respuesta contra el metal del eco.
El corazón es inhábil, todo pájaro naufraga.
Un vacío al que sólo acuden el tiempo y los motores.
Un lenguaje al que tal vez sólo yo conozca.
O conozcan ciertos y raros animales, los muertos.
Être couverts de suie – voici le résumé et la conclusion...
Être couverts de suie – voici le résumé et la conclusion ;
impossible de voir l'oiseau,
car le vrai oiseau est invisible
et celui que nous croyons oiseau n'est, à peine,
que quelques os, quelques plumes, un bec.
Couverts de suie, pendant que les heures déchirent et rapiècent
ce qui plus tard se brisera à nouveau ;
les vagues arrivent et repartent
non par amour pour la terre, mais poussées par la Lune.
L'eau est-elle utile, est-elle utile l'eau ?
Pour nous laver et ainsi devenir autres
sans cesser d'être humains ;
pour demander enfin, sans aucune crainte:
ta main, ici, là où j'ai mal.
Andar tiznados –aquí todo el resumen y la conclusión...
Andar tiznados –aquí todo el resumen y la conclusión;
no hay manera de ver al ave
porque el ave verdadera es invisible
y la que creemos ave es, apenas,
algunos huesos, algunas plumas, un pico.
Tiznados, mientras las horas desgarran y cosen
lo que más tarde romperán de nuevo;
las olas llegan y se retiran
no por amor a la tierra sino obligadas por la Luna.
¿El agua sirve, sirve el agua?
Para limpiarnos y de ese modo ser otros
sin dejar de ser humanos;
para por fin pedir, sin temor alguno:
tu mano, aquí, donde me duele.
Traduits de l'espagnol (Argentine) par Chantal Enright
en collaboration avec Elina Julia Kohen.
en collaboration avec Elina Julia Kohen.
CARLOS BARBARITO, poète, écrivain et critique d'art argentin né le 6 février 1955 à Pergamino, dans la province de Buenos Aires. A publié une vingtaine de recueils de poèmes. Sa poésie a été traduite en plusieurs langues. En français, il a publié : Les minutes qui passent, traduit par Frie Flamend et préfacé par Stefan Beyst (Poietes, Foetz, 2005) ; Feu sous un ciel en fuite ; traduit par Patrick Cintas (Le Chasseur Abstrait Éditeur, 2010). Défaillance dans le pur instant (Falla en el instante puro) ; Botella al mar, Buenos Aires, 2016, traduit par Chantal Enright en collaboration avec Elina Julia Kohen, est inédit en français.
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