Jalal El Hakmaoui


Sept poèmes



M’entends-tu Jim Morrison ?


Les bons poèmes
Nous offrent toujours des bonbons
Du mauvais vin de chez le marchand borgne
La nuit du réveillon...

Il me faut vingt bouteilles d’alcool à haïr
Pour ouvrir ma bouche
Et regarder ma langue en train de ramper
Sur la lame fine du grand miroir
Se bagarrer avec Abel Ferrara
Me prêter les soutiens-gorge de Marilyn Monroe
La tête d’un poste radio drogué
Et le tintement d’un troupeau d’idées noires
Qui ne se sont pas totalement déshabillées
Avant de me rejoindre dans la cabine téléphonique
Où la vie s’est arrêtée subitement
& a oublié de prendre ma vieille 4L de rêve pour aller vers le POÈME.




Le café de la Nouvelle ère


Au café de la nouvelle ère
S’assoient Tarafa Ibn Abd
& la poupée qui ne comprend pas la poésie classique
Il ouvre un vieux journal
Et lit en gros titre :
Je vois la vie comme un trésor tronqué
La terre tourne
Le vieux journal du peuple
Tombe

Seul Tarafa Ibn Abd demeure
Suspendu dans le gros titre :
Je vois la vie comme un trésor tronqué



La mobylette d’Ahmed Barakat


Sur une mobylette
Ahmed sillonne
La carte de l’Amérique latine
Il s’arrête dans ses cafés
Ses marchés populaires
Ses bars
& Salue
Pablo
Jorge
Jabrane
Ali
Bilal
& Sort de sa poche un aigle de papier
Qu’il lance très très haut dans les champs du Capital symbolique
Ahmed
Conduit sa mobylette
Vers le néant des Roches Noires
Vers la terre qu’entourent mes mains
La terre
Où la mobylette course l’âme en peine des indiens
La terre
D’où ne reviennent jamais les poètes rêveurs de l’Amérique Latine

La fraternité de la terre est un aigle empaillé
Heureux
Barakat
chevauche sa mobylette
& derrière lui s’accroche une belle Colombienne
Qui s’appelle Mercedes
Elle sort de son sac en tissu
Des lapins
Des mouchoirs bleus
Des poèmes en vers libres
Aux grains de beauté de Rimbaud
& à la moustache du poète prince martyr
& d’autres choses
La Colombienne dresse une tente en peau de chameau
Près du palmier d’Ahmed
& pleure

Parfois
Je pense au petit sourire d’Ahmed
Ce sourire-papillon
Qui pose sur le guidon de la mobylette
Léger
Joyeux
Puis s’envoooooooooooooooooooooooooooooooooooooole
Vers...
Où je raconte tous les jours les nouvelles de l’Amérique latine
(& de la belle Colombienne)
Dans mes emails pressés.


Le nez d’Al Pacino


Je suis venu sur cette terre obscure
Avec le nez de Al Pacino
(le vrai Al Pacino regarde vers le Haut)

pour voir ces enfants danser sur les rythmes des bendirs de l’apocalypse
& déchirent leurs vêtements pour faire sortir sortir
de nouveaux-nés forts et rudes
& frappent avec leur manche sur le ventre du message oriental
ils prennent d’assaut les affiches des salles de cinéma…
les déchirent en miettes
& accrochent à sa place la photo d’un homme qui s’appelle le supplice du tombeau
( donnant l’accolade à Bush Jr)

Je suis venu sur cette terre obscure
Avec le nez de Al Pacino
Pour conduire comme un pilote de formule1 la voiture de Nicole Kidman
Pour écraser les nains qui prient la graine noire
Pour regarder la télévision des pauvres
Pour sacrifier un mouton virtuel à l’honneur de l’Homme nouveau
            (L’Homme nouveau regarde vers le Bas)



Déluge 


L’aube
Je marche dans la terre des Morts.

Mes mains solitaires étouffent le sifflement des trains lointains.

Des enfants courent vers moi
Moi, je cours vers le poème.

Dans la chambre des Morts,
Je lis Le Bateau ivre :
Dans mon corps brille de mille feux l’or des Chasseurs en transe.

Me suis-je égaré dans le poème ?

Dans mon poème j’entends
Le rire des Morts et le hurlement des orphelins
Mon désert rouge met au monde le poète aveugle.
Le poète aveugle rêve sur le lit de l’éternité.
Et moi ?
Et moi ?

Mort
Je creuse le marbre du poème pourri pourri…
Jusqu’à ce que la noirceur du monde couvre
La bouche ensanglantée des chacals.
Mon poème
Ignore les limousines des ministres
Le sel des textes d’avant-garde.

Oui
C’est mon poème
Qui m’accompagne l’aube dans la terre des Morts-Vivants.
C’est dans mon poème
Que s’entretuent les poètes vivants
Et les voleurs morts.

Oui
Mon désert rouge met au monde le poète aveugle
Le poète VOIT le scintillement de l’éternité dans l’œil de l’aigle-jaguar
Et moi ?

Ivre, je m’allonge dans la gueule du poème et attends le DÉLUGE.


Un homme fête la victoire de ses crimes à l’écran


Il va à la mort
comme qui va en promenade
comme qui suit un cortège nuptial
Comme une chute
Ceux qui s’en vont toucher la nuit se brisent
tandis que l’homme célèbre
les crimes du monde
Pourquoi semblait-t-il joyeux
comme une érection ?
Les murs sont bien assez froids et nus
le bruit de la ville, lointain
et les jardins, une femme décidée à fuir
avec la première idée de la nuit
Loin, le piège de la folie
Vastes, les champs de ses péchés
Et les ténèbres
ne sont qu’une idée dans les yeux d’une dame
en attente d’une jouissance
partie en guerre
Et c’est pourquoi
la main de l’homme
saluait avec amour
les champs de dynamite.


Les poètes du poème en prose & l’autre poupée 


L’autre poupée
Le café bleu des Oudayyas
Les grammairiens lavent le cadavre de la prestigieuse langue arabe
Et couvrent d’un linceul blanc les Oulémas du prochain millénaire
Quand l’héroïne se réveillera-t-elle de son sommeil ancestral
Dans le lit de cette terre étrangère
Dont la forêt illumine
L’œil du Voyant Marocain ?

Les poètes du poème en prose
Jouent aux cartes avec la poupée en question
À la promenade de Hassan
Les poètes du poème en prose
Se battent aux couteaux & aux chaînes de motos
Pour la fameuse héroïne
Des blessés tombent les uns après les autres
Ounsi El-Hajj
Sargoun Boulos
El Maghout
Et Brahim le serveur au Bar de Tanger
Également

Quand les grammairiens payent
Ce qu’ils doivent
À qui a aidé le tremblement de terre
À qui a caché ce poème des tortionnaires à la botte de Sindbad
À qui a rêvé d’un enfant à la tête d’un centenaire
À qui a vu une armée de nains bouchant l’œil du soleil

L’autre poupée
Le Café Bleu des Oudayyas
Les poètes du poème en prose
Lavent la poétesse El Khansa’
& couvrent d’un linceul blanc son mari
Son frère
Son septième oncle
Puis
Dites-moi quand l’héroïne se réveillera de son sommeil ancestral ?



JALAL EL HAKMAOUI est né en 1965 à Casablanca. Agrégé de traduction littéraire. Inspecteur et coordonnateur National de la traduction au ministère de l’Education Nationale. Vice-Président du Jury d’Agrégation de Traduction depuis 2010. Directeurs de la Maison Internationale des traducteurs littéraires au Maroc. Membre de la Maison de la poésie au Maroc, de l’Union des Ecrivains du Maroc. Il est poète, traducteur, critique de cinéma. Directeur de la revue Internationale de poésie Electron Libre. Il a publié en poésie : Certificat de Célibat, poèmes, aux éditions Galgamesh, Paris, 1997. Allez un peu au cinéma, Toubkal, 2007.Ce que je n’ai pas dit à Al Pacino,édition bilingue, maelstrOm, Bruxelles. Perfect day, poèmes, maelstrOm, Maison de la poésie d’Amay, Belgique.  Sa poésie est traduite en français, anglais, chinois, slovène, roumain, russe. Actuellement, il est directeur de la Maison Internationale des Traducteurs Littéraires au Maroc, expert international en traduction littéraire, consultant pour la télévision 2M,. Il vit et travaille à Rabat.
Jalal El Hakmaoui Jalal El Hakmaoui Reviewed by La Rédaction on lundi, mai 18, 2020 Rating: 5

Aucun commentaire:

Fourni par Blogger.